vez pas ce que c'est que d'aimer pour
la premiere fois, et d'etre aime pour la seconde ou troisieme.
--Ah! nous y voila, dit Laraviniere en haussant les epaules. La Vierge
Marie etait seule digne de monsieur Horace Dumontet! _Connu!_ mon cher.
Vous l'avez dit assez souvent devant moi a cette pauvre Marthe. Mais
dire ces choses-la, voyez-vous, en avoir seulement la pensee, prouve
qu'on etait digne tout au plus de mademoiselle Louison. Quelle vanite
et quelle erreur sont les votres! Il y a certaines femmes perdues qui
valent mieux que certains adolescents.
--Jean, vous etes un grossier, un brutal, un insolent personnage.
--Oui, mais je dis la verite. Il y a des coeurs purs sous des robes
souillees, et des coeurs corrompus sous des gilets magnifiques."
Horace dechira son gilet de velours cramoisi et en jeta les lambeaux a
la figure du Laraviniere. Jean les esquiva, et les poussant du bout de
son pied:
"C'est cela, dit-il; comme si vous n'etiez pas assez endette avec votre
tailleur!
--Je le suis avec vous, Monsieur, dit Horace. Je ne l'avais pas oublie;
mais je vous remercie de me le rappeler.
--Si vous vous en souvenez, tant mieux, dit Laraviniere avec
insouciance; il y a dans les prisons de pauvres patriotes qui en
profiteront pour acheter des cigares. Allons, rallumez le votre, et
parlons un peu sans nous facher. Que vous ayez eu envers Marthe des
torts incontestables, vous ne pouvez pas le nier; et moi, sachant que
vous etes un enfant gate, que vous avez pour vous l'esprit, les belles
paroles et une superbe figure, je vous excuse jusqu'a un certain point.
Je sais bien que c'est le privilege des beaux garcons, comme celui des
belles femmes, d'avoir des caprices; je ne peux pas exiger que vous ayez
la sagesse d'un homme comme moi, qui ressemble a un sanglier plus qu'a
un chretien, et dont la face a ete labouree un jour qu'il grelait des
hallebardes. Mais ce que je ne vous pardonne pas, c'est d'aimer a faire
souffrir; c'est de ne pas rompre une liaison dont vous etes degoute;
c'est de manquer de franchise, en un mot, et de ne pas vouloir guerir le
mal que vous avez fait.
--Mais je l'aime, cette femme que je fais souffrir! je ne puis m'en
separer! je ne m'habituerais pas a vivre sans elle!
--Quand meme cela serait vrai (et j'en doute, puisque vous vous arrangez
de maniere a rester avec elle le moins que vous pouvez), votre devoir
serait de vaincre un amour qui lui est nuisible.
--Quand je le voudrais,
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