vous le demande, dit Horace en s'adressant
a Laraviniere, d'etre traite comme un enfant par sa bonne, comme un
ecolier par son precepteur? Je n'ai pas le droit de sortir et de rentrer
a l'heure qu'il me plait! Il faut que je demande une permission; et si
je m'oublie un peu, je trouve que le delai expire est devant moi comme
un arret, comme la mesure exacte et compassee du temps ou il m'est
permis de me distraire. Voila qui est plaisant! je me ferai signer un
permis avec un dedit de tant par minute.
--Vous voyez bien qu'elle souffre! lui dit Laraviniere a demi-voix.
--Parbleu! et moi, croyez-vous que je sois sur des roses? reprit Horace
a voix haute. Est-ce que des souffrances pueriles et injustes doivent
etre caressees, tandis que des souffrances poignantes et legitimes comme
les miennes s'enveniment de jour en jour?
--Je vous rends donc bien malheureux, Horace! dit Marthe en levant sur
lui, d'un air de douleur severe, ses grands yeux d'un bleu sombre. En
verite, je ne croyais pas travailler ici a votre malheur.
--Oui, vous me rendez malheureux, s'ecria-t-il, horriblement malheureux!
Si vous voulez que je vous le dise en presence de Jean, votre eternelle
tristesse rend mon interieur odieux. C'est a tel point que quand j'en
sors, je respire, je m'epanouis, je reviens a la vie; et que, quand
j'y rentre, ma poitrine se resserre et je me sens mourir. Votre amour,
Marthe, c'est la machine pneumatique, cela etouffe. Voila pourquoi,
depuis quelque temps, vous me voyez moins souvent.
--Je crois que vous faites une erreur de date, repondit Marthe, a qui la
fierte blessee rendit le courage. Ce n'est pas ma tristesse continuelle
qui vous a force a vous absenter; c'est votre absence continuelle qui
m'a forcee a etre triste.
--Vous l'entendez, Laraviniere! dit Horace, qui avait besoin de trouver
une excuse dans la conscience d'autrui, et a qui l'air soucieux de Jean
faisait craindre un jugement severe. Ainsi c'est parce que je sors,
parce que je mene la vie qui sied a un homme, parce que je fais de mon
independance l'usage qui me convient, que je suis condamne a trouver,
en rentrant, un visage bouleverse, un sourire amer, des doutes, des
reproches, de la froideur, des accusations, des sentences! Mais c'est le
plus affreux supplice qui soit au monde!
--Je vois, dit Laraviniere en se levant, que vous etes tous les deux
fort a plaindre. Ecoutez; si vous voulez m'en croire, vous vous
quitterez.
--C'est tout ce qu'il de
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