au fond de son coeur etait trop
delicat pour qu'il voulut l'exposer aux doutes moqueurs qu'eut provoques
une premiere explication. Faute de pouvoir abjurer un instant le role
qu'il s'etait fait, il s'etait donc condamne a ne frequenter que des
femmes trop faciles pour lui inspirer un attachement serieux, mais
qu'il traitait cependant avec une douceur et des egards auxquels elles
n'etaient guere habituees.
Ceci est l'histoire de bien des hommes. Une fierte singuliere les
empechait de se montrer tels qu'ils sont, et ils portent toute leur vie
la peine d'une innocente dissimulation dans laquelle on les oblige a
persister. Mais comme le naturel perce toujours, malgre l'espece de
mepris railleur que notre bousingot professait pour les sentiments
romanesques, il ne pouvait voir humilier et affliger une femme, quelle
qu'elle fut, sans une profonde indignation. S'il voyait une prostituee
frappee dans la rue par un de ces hommes infames qui leur sont associes,
il prenait parti heroiquement pour elle, et la protegeait au peril de sa
vie. A plus forte raison avait-il peine a se contenir lorsqu'il voyait
une femme delicate recevoir de ces blessures qui sont plus cruelles au
coeur d'un etre noble que les coups ne le sont aux epaules d'un etre
avili. Des les commencements de son sejour dans la maison Chaignard, il
vit sur les joues de Marthe la trace de ses larmes; il surprit souvent
Horace dans des acces de colere que ce dernier avait bien de la peine a
reprimer devant lui. Peu a peu Horace, s'habituant a le considerer comme
un temoin sans consequence, s'habitua aussi a ne plus se contraindre,
et Laraviniere ne put rester longtemps impassible spectateur de ses
emportements. Un jour il le trouva dans une veritable fureur: Horace
avait passe la nuit au bal de l'Opera; il avait les nerfs agaces, et
regardait comme une injure de la part de Marthe, comme un empietement
sur sa liberte, comme une tentative de despotisme, qu'elle lui eut
adresse quelques reproches sur cette absence prolongee. Marthe n'etait
pas jalouse, ou, du moins, si elle l'etait, elle n'en laissait jamais
rien paraitre; mais elle avait ete inquiete toute la nuit, parce
qu'Horace lui avait promis de rentrer a deux heures. Elle avait craint
une querelle, un accident, peut-etre une infidelite. Quoi qu'elle eut
souffert, elle ne se plaignait que de ne pas avoir ete avertie, et sa
figure alteree disait assez les angoisses de son insomnie cruelle.
"N'est-ce pas odieux, je
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