cela n'etait pas. Laraviniere le traitait comme un
mari qu'on ne veut pas tromper, mais que l'on menage et que l'on se
concilie pour cultiver l'amitie ou l'agreable societe de sa femme. Dans
toutes les conditions de la vie cela se pratique en tout bien tout
honneur, et non-seulement Laraviniere n'avait pas de pretentions pour
lui-meme, mais encore il avait fait ses reserves avec Arsene, en lui
declarant que, ne voulant pas agir en traitre, il ne parlerait jamais a
Marthe ni contre son amant, ni en faveur d'un autre. Arsene l'entendait
bien ainsi; il lui suffisait d'avoir tous les jours des nouvelles de
Marthe, et d'etre averti a temps de la rupture qu'il prevoyait et qu'il
attendait entre elle et Horace, pour conserver cette forte et calme
esperance dont il se nourrissait.
Laraviniere voyait donc Marthe tous les jours, tantot seule, tantot en
presence d'Horace, qui ne lui faisait pas l'honneur d'etre jaloux de
lui; et tous les soirs il voyait Arsene, et parlait avec lui de Marthe
un quart d'heure durant, a la condition qu'ils parleraient ensuite de la
republique pendant une demi-heure.
Quoique Jean ne se fut pas pose en surveillant, il lui fut impossible de
ne pas observer bientot l'aigreur et le refroidissement d'Horace envers
la pauvre Marthe, et il en fut choque. Il n'avait pas plus reflechi sur
la nature et le sort de la femme qu'il ne l'avait fait sur les autres
questions fondamentales de la societe; mais, chez cet homme, les
instincts etaient si bons, que la reflexion n'eut rien trouve a
corriger. Il avait pour les femmes un respect genereux, comme l'ont
en general les hommes braves et forts. La tyrannie, la jalousie et la
violence sont toujours des marques de faiblesse. Jean n'avait jamais ete
aime. Sa laideur lui inspirait une extreme reserve aupres des femmes
qu'il eut trouvees dignes de son amour; et quoique a la rudesse de son
langage et de ses manieres, on ne l'eut jamais soupconne d'etre timide,
il l'etait au point de n'oser lever les yeux sur Marthe qu'a la derobee.
Cette mefiance de lui-meme etait parfaitement deguisee sous un air
d'insouciance, et il ne parlait jamais de l'amour sans une espece
d'emphase satirique dont il fallait rire malgre soi. Les femmes en
concluaient generalement qu'il etait une brute; et cet arret une fois
prononce contre lui, il eut fallu au pauvre Jean un grand courage et
une grande eloquence pour le faire revoquer. Il le sentait bien, et
le besoin d'amour qu'il avait refoule
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