existe, par une instinctive
revelation de son droit, plus puissante que les theories religieuses de
l'ascetisme et du renoncement. Mais c'est toujours une chose neuve et
grande que de voir le droit humain, pris a son point de vue religieux,
proclame par un revolutionnaire. Il y avait bien assez longtemps que vos
republicains oubliaient de donner a leurs theories la sanction divine
qu'elles doivent avoir. Moi, qui suis _legitimiste_, ajoutai-je en
souriant...
--Ne parlez pas comme cela, reprit vivement Paul Arsene, vous n'etes
pas legitimiste dans le sens qu'on attache a ce mot; vous sentez que la
legitimite est dans le droit du peuple.
--C'est la verite, Arsene, je le sens profondement; et quoique mon pere
fut attache, de fait et par delicatesse de conscience, aux hommes du
passe, plus il approchait de la tombe, plus il s'elevait a la
conception et au respect des institutions de l'avenir. Croyez-vous que
Chateaubriand ne se soit pas dit cent fois que Dieu est au-dessus des
rois, dans le meme sens que Cavaignac vous proclamait aujourd'hui le
droit de la societe au-dessus de celui des riches?
--A la bonne heure, dit Arsene. Il est donc vrai que nous avons droit au
bonheur en cette vie, que ce n'est pas un crime de le chercher, et que
Dieu meme nous en fait un devoir? Cette idee ne m'avait pas encore
frappe. J'etais partage entre un sentiment revolutionnaire qui me
rendait presque athee, et des retours vers la devotion de mon enfance
qui me rendaient compatissant jusqu'a la faiblesse. Ah! si vous saviez
comme j'ai ete froidement cruel aux trois journees au milieu de mon
delire! Je tuais des hommes, et je leur disais: Meurs, toi qui as fait
mourir! Sois tue, toi qui tues! Cela me paraissait l'exercice
d'une justice sauvage; mais je m'y sentais force par une impulsion
surnaturelle. Et puis, quand je fus calme, quand je m'agenouillai sur
les tombes de juillet, je pensai a Dieu, a ce Dieu de soumission et
d'humilite qu'on m'avait enseigne, et je ne savais plus ou refugier ma
pensee. Je me demandais si mon frere etait damne pour avoir leve la main
contre la tyrannie, et si je le serais pour avoir venge mon frere et mes
freres les hommes du peuple. Alors j'aimais mieux ne croire rien; car je
ne pouvais comprendre qu'au nom de Jesus crucifie, il fallut se laisser
mettre en croix par les delegues de ses ministres. Voila ou nous en
sommes, nous autres enfants de l'ignorance: athees ou superstitieux,
et souvent l'un et l'autr
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