"Nous lui contestons (_a votre
societe officielle_) le monopole des droits politiques; et ne croyez pas
que ce soit seulement pour le revendiquer en faveur des capacites. Selon
nous, quiconque est utile est capable. Tout service entraine un droit."
[Note 1: Proces du droit d'association, decembre 1832.]
Arsene assistait a ce proces; il ecouta avec une emotion contenue;
et, tandis que la plupart des auditeurs, subjugues par le magnetisme
qu'exerce toujours sur les masses le debit et l'aspect de l'orateur,
eclataient en applaudissements passionnes, il garda un profond silence;
mais il etait le plus penetre de tous, et il n'entendit pas, ce jour-la,
les autres plaidoiries[2]. Il s'absorba entierement dans les idees que
Godefroy avait eveillees en lui, et il se retira plein de celle-ci,
qu'il vint me repeter mot a mot:
"La religion, comme nous l'entendons, nous, c'est le droit sacre de
l'humanite. Il ne s'agit plus de presenter au crime un epouvantail apres
la mort, au malheureux une consolation de l'autre cote du tombeau.
Il faut fonder en ce monde la morale et le bien-etre, c'est-a-dire
l'egalite. Il faut que le titre d'homme vaille a tous ceux qui le
portent un meme respect religieux pour leurs droits, une pieuse
sympathie pour leurs besoins. Notre religion, a nous, c'est celle qui
changera d'affreuses prisons en hospices penitentiaires, et qui, au nom
de l'inviolabilite humaine, abolira la peine de mort... Nous n'adoptons
plus une foi qui met tout au ciel, qui reduit l'egalite devant Dieu, a
cette egalite posthume que le paganisme proclamait aussi bien que le
christianisme; etc."
[Note 2: C'est pourtant dans la meme Seance que Piocque dit ces
belles paroles: "Est-ce que le denouement et le besoin ne peuvent pas
logiquement reclamer la faculte de se constituer leurs representants,
avocats de la faim, de la misere, et de l'ignorance?"]
"Theophile, s'ecria Arsene en mettant sa main dans la mienne, voila de
grandes paroles et une idee neuve, du moins pour moi. Elle me donne tant
a reflechir, que tout, mon passe, c'est-a-dire tout ce que j'ai cru
jusqu'a ce jour, se bouleverse a mes propres yeux.
--Ce n'est pas une idee qui soit absolument propre a l'orateur que vous
venez d'entendre, lui repondis-je: c'est une idee qui appartient au
siecle, et qui a ete deja emise sous plusieurs formes. On pourrait meme
dire que c'est l'idee qui a domine nos revolutions depuis cent ans,
et l'humanite tout entiere depuis qu'elle
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