mait a donner; et tandis qu'il oubliait de rendre
dix francs a un pauvre diable qui avait des bottes percees, il faisait
le magnifique avec un joyeux compagnon qui lui en demandait quarante
pour regaler sa maitresse. Il prenait des bains parfumes, et donnait
cent sous au garcon qui l'avait masse; il jetait une piece d'or a un
petit ramoneur pour voir ses joyeuses cabrioles et se faire appeler
_mon prince_; il achetait a Marthe une robe de soie qui lui etait fort
inutile, vu qu'elle manquait d'une robe d'indienne; il louait des
chevaux de selle pour aller courir au bois de Boulogne; enfin le peu
d'argent qu'apres mille pressurages sur les besoins de sa famille,
madame Dumontet reussissait a lui envoyer etait gaspille en trois jours,
et il fallait retourner aux pommes de terre, a la retraite forcee, et
aux baillements melancoliques du menage.
Cependant un temoin juste et sincere assistait au lent supplice que
subissait la pauvre Marthe. C'etait Jean, le bousingot, dont la presence
dans la maison n'etait pas une chose aussi fortuite qu'il le laissait
croire. Jean etait devoue corps et ame a un homme qui, ne pouvant
approcher du triste sanctuaire ou palissait l'objet de son amour,
voulait du moins veiller a la derobee et lui continuer sa mysterieuse
sollicitude. Cet homme c'etait Paul Arsene. Au profond abattement qu'il
avait d'abord eprouve, avait succede une pensee de devouement politique.
Il s'etait toujours dit qu'il lui resterait assez de force pour se faire
casser la tete au nom de la republique. En consequence, il etait alle
trouver le seul homme qu'il connut dans le mouvement organise, et Jean
l'avait recu a bras ouverts.
XX.
A cette epoque, l'association politique la plus importante et la mieux
organisee etait celle des _Amis du peuple_. Plusieurs des chefs qui la
representaient avaient joue deja un role dans la charbonnerie; ceux-la
et d'autres plus jeunes en ont joue un plus brillant depuis 1830. Parmi
ces hommes, qui ont surgi et grandi durant cette periode de dix annees,
et qui ont deja des noms historiques, la societe des _Amis de peuple_
comptait Trelat, Guinard, Raspail, etc.; mais celui qui exercait le plus
de prestige sur les jeunes gens des Ecoles tels que Laraviniere, et
sur les jeunes republicains populaires tels que Paul Arsene, c'etait
Godefroy Cavaignac. Presque seul, il n'avait pas cette suffisance
puerile qui perce chez la plupart des hommes remarquables de notre
temps, et qui fait chez e
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