heureux!"
Mme Dabrovine sourit, embrassa sa fille et baisa la main de son oncle,
qui se frotta les mains avec une vivacite qu'elle ne lui avait pas
encore vue.
Derigny paraissait aussi content que le general; il s'empressa de faire
sa commission, et completa l'etablissement en lui apportant la petite
table chargee de papiers et de livres sur laquelle il avait l'habitude
de travailler et d'ecrire.
Le general: "Bravo! mon ami. Vous avez de l'esprit comme un Francais!
Je n'avais, pas voulu vous parler de la table, pour ne pas trop vous
charger. Je suis enchante de l'avoir. Je commence a m'arranger chez toi
comme chez moi, ma fille. Derigny ne te genera-t-il pas? J'ai souvent
besoin de lui pour mon travail."
Madame Dabrovine: "Ceux que vous aimez et qui vous aiment, mon oncle, ne
peuvent jamais me gener; c'est au contraire un plaisir pour moi de voir
M. Derigny vous soigner, vous aider dans vos travaux. En le voyant
faire, j'apprendrai aussi a vous etre utile."
Natasha: "Et moi donc? N'est-ce pas, monsieur Derigny, que vous me direz
ce que mon oncle aime, et qu'il n'aime pas, et ce que je puis faire pour
lui etre agreable?"
Derigny: "Mademoiselle, Monsieur votre oncle aime ce qui est bon et
franc; il n'aime pas ce qui est mechant et hypocrite; et, puisque vous
m'autorisez a vous donner un conseil, Mademoiselle, soyez toujours ce
que vous etes aujourd'hui et ce que votre physionomie exprime si bien."
Le general: "Bien dit, mon ami; j'ajoute: Sois le contraire de ta tante,
et tu seras la doublure de ta mere. A present, Derigny, allumez-moi ma
pipe, rendez-moi compte des travaux et des depenses de la semaine, et
puis j'irai me coucher, car il commence a se faire tard."
Quand le general eut termine son travail, Derigny lui presenta un papier
en le priant de le lire.
Le general, apres l'avoir lu: "Qu'est-ce? Qui a ecrit ca?"
Derigny: "Mme Papofski, mon general."
Le general: "Et pourquoi me le montrez-vous?"
Derigny: "Parce que Mme Papofski veut que tout soit achete a votre
compte, mon general, et je n'ai pas cru devoir le faire sans vous
consulter."
Le general: "Et vous avez bien fait, mon cher."
"C'est parbleu trop impudent aussi. Figure-toi, Natalie, que ta soeur
veut faire habiller son cocher, son forreiter (postillon), son courrier,
ses laquais, ses femmes (six je crois), en m'obligeant a tout payer.
Bien mieux, elle ordonne qu'on change les douze mauvais chevaux qu'elle
a amenes, contre les p
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