elle dit:
"C'est mon oncle qui vous a fait sourire le premier et bien des fois
depuis notre arrivee; bon cher oncle, que je l'aime! que je l'aime!
Comme nous allons etre heureux avec lui, toujours avec lui! Nous
l'aimons, il nous aime, nous ne le quitterons jamais.
Madame Dabrovine: "La mort separe les plus tendres affections, mon
enfant."
Natasha: "Oh, maman!"
Madame Dabrovine: "Ma pauvre fille! je t'attriste; j'ai tort. Mais voila
nos affaires rangees; allons nous coucher."
La mere et la fille s'embrasserent encore une fois, firent leur priere
ensemble et s'etendirent dans leur lit; Natasha etait si contente du
sien et de tout leur etablissement, dont elle ne pouvait se lasser,
qu'elle ne put s'empecher de se relever, d'aller embrasser sa mere, et
de lui dire avec vivacite:
"Comme nous sommes heureuses ici, maman. Ma chambre est si jolie! J'y
suis come une reine.
--J'en suis bien contente, mon enfant; mais prends garde de t'enrhumer.
Couche-toi bien vite."
Pendant que Mme Dabrovine et sa fille preparaient leur coucher et
causaient des evenements de la journee, le general causait de son cote
avec Derigny, qui devenait de plus en plus son confident intime.
"Voila une perle, une vraie perle! s'ecria-t-il. Je la retrouve comme je
l'avais quittee, cette pauvre Natalie, moins le bonheur. Nous tacherons
d'arranger ca, Derigny. J'ai mon plan. D'abord, je lui laisse toute
ma fortune, a l'exception d'un million, que je donne a Natasha en la
mariant... Pourquoi souriez-vous, Derigny? Croyez-vous que je n'aie pas
un million a lui donner?... ou bien que je changerai d'idee comme pour
Torchonnet?... Est-ce que ma niece n'est pas comme ma petite-fille?"
Derigny: "Mon general, je souris parce que j'aime a vous voir content,
parce que j'entrevois pour vous une vie nouvelle d'affection et
de bonheur, et parce que je vois une bonne oeuvre a faire tout en
travaillant pour vous-meme."
Le general: "Comment cela? Quelle bonne oeuvre?"
Derigny: "Mon general, j'ai su, par le cocher et la femme de chambre de
Mme Dabrovine, qu'elle etait la meilleure des maitresses, qu'elle et
ses enfants etaient adores par leurs paysans et leurs voisins; mais Mme
Dabrovine est presque pauvre; son mari a depense beaucoup d'argent pour
sa campagne de Crimee; elle a tout paye, et elle est restee avec treize
cents roubles de revenus; c'est elle-meme qui a eleve sa fille et ses
fils; mais les garcons grandissent, ils ont besoin d'en savoi
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