interets.
Alors, chaque fois qu'il avait fait une acquisition de ce genre, les
journaux l'avaient annoncee et celebree: le prince Savine, quel Mecene!
Il est vrai que ce Mecene ne repandait ses bienfaits que sur des
artistes morts depuis longtemps: Hobbema, Velasquez, Paul Veronese et
autres qui ne lui savaient aucun gre de ses largesses.
Mais un seul coup de baccara faisait oublier Mecene, et Otchakoff, en
une nuit heureuse ou malheureuse, s'imposait a la curiosite publique
d'une facon autrement vivante et palpitante en perdant son argent que
s'il l'avait depense a acheter des Rubens ou des Titien.
Ce fut alors que Savine exaspere et perdant la tete, se decida a lutter
contre son rival en employant les memes armes que celui-ci, c'est-a-dire
a coups de millions.
Otchakoff, ne trouvant plus a jouer des grosses parties a Paris pendant
la saison d'ete, etait venu a Bade jouer contre la banque, et Savine
l'avait suivi, se disant qu'un homme habile et prudent qui joue contre
une banque de jeu ne doit perdre que dans une certaine mesure qui peut
se calculer mathematiquement, et meme qu'il peut gagner.
Le tout etait donc d'etre cet homme habile et prudent.
Heureusement, les professeurs de systemes tous plus infaillibles les uns
que les autres ne manquent pas pour ceux qui veulent jouer a coup sur;
il y en a a Paris, et a cette epoque il y en avait dans toutes les
villes d'eaux ou l'on jouait: a Bade, a Hombourg, a a Wiesbaden, a Ems,
a Spa, ou ils tenaient boutiques de renseignements et de lecons.
Dans un de ses sejours a Bade, Savine avait rencontre un de ces
professeurs: un vieux gentilhomme francais de grand nom et de belle mine
qui, apres avoir perdu plusieurs fortunes au jeu, offrait aux jeunes
gens qui voulaient bien l'ecouter "une rectitude de combinaisons
inexorables" pour faire sauter la banque; mais alors, ne pensant pas
a jouer, il s'en etait debarrasse en lui faisant l'aumone de quelques
florins que le vieux professeur allait perdre avec une "rectitude
inexorable" ou qu'il employait a faire inserer dans les journaux des
annonces pour tacher de trouver des actionnaires qui lui permissent
d'essayer en grand son systeme.
Arrive a Bade il avait cherche son homme aux "combinaisons inexorables",
ce qui n'etait pas difficile, car on etait sur de le trouver a
la _Conversation_, assis sur une chaise devant la table de
trente-et-quarante, suivant le jeu auquel il ne pouvait pas prendre part
et notant les cou
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