aussi, se disait-elle, nous etions de pauvres brebis errantes, et nous
laissions les lambeaux de notre depouille aux ronces des chemins; mais
nous emportions toujours le fier amour et la pleine jouissance de notre
chere liberte!"
En revant ainsi, Consuelo laissait tomber de longs regards sur ce sentier
de sable jaune qui serpentait gracieusement sur la colline, et qui,
s'elargissant au bas du vallon, se dirigeait vers le nord en tracant une
grande ligne sinueuse au milieu des verts sapins et des noires bruyeres.
Qu'y a-t-il de plus beau qu'un chemin? pensait-elle; c'est le symbole et
l'image d'une vie active et variee. Que d'idees riantes s'attachent pour
moi aux capricieux detours de celui-ci! Je ne me souviens pas des lieux
qu'il traverse, et que pourtant j'ai traverses jadis. Mais qu'ils doivent
etre beaux, au prix de cette noire forteresse qui dort la eternellement
sur ses immobiles rochers! Comme ces graviers aux pales nuances d'or mat
qui le rayent mollement, et ces genets d'or brulant qui le coupent de
leurs ombres, sont plus doux a la vue que les allees droites et les raides
charmilles de ce parc orgueilleux et froid! Rien qu'a regarder les grandes
lignes seches d'un jardin, la lassitude me prend: pourquoi mes pieds
chercheraient-ils a atteindre ce que mes yeux et ma pensee embrassent tout
d'abord? au lieu que le libre chemin qui s'enfuit et se cache a demi dans
les bois m'invite et m'appelle a suivre ses detours et a penetrer ses
mysteres. Et puis ce chemin, c'est le passage de l'humanite, c'est la
route de l'univers. Il n'appartient pas a un maitre qui puisse le fermer
ou l'ouvrir a son gre. Ce n'est pas seulement le puissant et le riche qui
ont le droit de fouler ses marges fleuries et de respirer ses sauvages
parfums. Tout oiseau peut suspendre son nid a ses branches, tout vagabond
peut reposer sa tete sur ses pierres. Devant lui, un mur ou une palissade
ne ferme point l'horizon. Le ciel ne finit pas devant lui; et tant que la
vue peut s'etendre, le chemin est une terre de liberte. A droite, a
gauche, les champs, les bois appartiennent a des maitres; le chemin
appartient a celui qui ne possede pas autre chose; aussi comme il l'aime!
Le plus grossier mendiant a pour lui un amour invincible. Qu'on lui
batisse des hopitaux aussi riches que des palais, ce seront toujours des
prisons; sa poesie, son reve, sa passion, ce sera toujours le grand
chemin! O ma mere! ma mere! tu le savais bien; tu me l'avais bien dit!
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