en moi-meme sur cette remarque. Alida, en se levant, laissa
tomber son eventail; dix admirateurs se precipiterent pour le ramasser.
Pour un peu, on se fut battu; elle le prit de la main triomphante qui le
lui presentait, sans aucune parole de remerciement, sans meme un sourire
de convention, et comme si elle etait trop maitresse des volontes de cet
inconnu pour lui savoir le moindre gre de son esclavage. C'etait un bon
petit provincial qui parut heureux d'une telle familiarite. En fait,
c'etait de sa part une betise; en theorie, il avait pourtant raison.
Quand une femme dispose d'un homme jusqu'au dedain, elle le provoque
plus qu'elle ne l'eloigne, et, quoi qu'on en puisse dire, il y a
toujours un peu d'encouragement au fond de ces _mepriseries_ royales.
Pour me venger du secret depit que j'eprouvais, je cherchai quel service
je pourrais rendre a Adelaide, qui dansait pres de moi. Je vis qu'elle
avait failli tomber en glissant sur des feuilles de rose qui s'etaient
detachees de son bouquet, et, comme elle revenait a sa place, je les
enlevai vite et adroitement. Elle parut s'etonner un peu d'un si beau
zele, et cet etonnement meme etait une impression de pudeur. Je ne la
regardais pas, craignant d'avoir l'air de mendier un remerciement; mais
elle me l'adressa un instant apres, quand la figure de la contredanse la
replaca pres de moi.
--Vous m'avez preservee d'une chute, me dit-elle tout haut en souriant;
vous etes toujours bon pour moi, comme _jadis!_
Bon pour elle! c'etait trop de reconnaissance a coup sur, et cela
pouvait amener une declaration de la part d'un impertinent; mais il eut
fallu l'etre jusqu'a l'imbecillite pour ne pas sentir dans l'extreme
politesse de cette chaste fille un doute d'elle-meme qui imposait aux
autres un respect sans bornes.
Je n'attendis pas la fin du bal. J'y souffrais trop. Comme j'allais
gagner ma petite chambre, Valvedre se trouva devant moi et me fit signe
de le suivre a l'ecart.
--Voici l'explication, pensai-je: qu'il se decide donc enfin a me
chercher querelle, ce mysterieux personnage! Ce sera me soulager d'une
montagne qui m'etouffe!
Mais il s'agissait de bien autre chose.
--Il est arrive ici tantot, me dit-il, des parents de Lausanne sur
lesquels on ne comptait plus. On est force de leur donner l'hospitalite
et de disposer de votre chambre. Ce sont deux vieillards, et vous leur
cedez naturellement la place; mais on ne veut pas vous envoyer a
l'auberge, on vous confi
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