te humaine ne fut que l'incarnation du reflet de la tienne. Je demande
beaucoup, et ce souhait sincere est glorieux pour toi. Ta grandeur morale,
image de l'infini, est immense comme la reflexion du philosophe, comme
l'amour de la femme, comme la beaute divine de l'oiseau, comme les
meditations du poete. Tu es plus beau que la nuit. Reponds-moi, ocean,
veux-tu etre mon frere? Remue-toi avec impetuosite ... plus ... plus
encore, si tu veux que je te compare a la vengeance de Dieu; allonge tes
griffes livides en te frayant un chemin sur ton propre sein ... c'est bien.
Deroule tes vagues epouvantables, ocean hideux, compris par moi seul, et
devant lequel je tombe, prosterne a tes genoux. La majeste de l'homme est
empruntee; il ne m'imposera point: toi, oui. Oh! quand tu t'avances, la
crete haute et terrible, entoure de tes replis tortueux comme d'une cour,
magnetiseur et farouche, roulant tes ondes les unes sur les autres, avec
la conscience de ce que tu es, pendant que tu pousses, des profondeurs de
ta poitrine, comme accable d'un remords intense que je ne puis pas
decouvrir, ce sourd mugissement perpetuel que les hommes redoutent tant,
meme quand ils te contemplent, en surete, tremblants sur le rivage,
alors, je vois qu'il ne m'appartient pas, le droit insigne de me dire
ton egal. C'est pourquoi, en presence de ta superiorite, je te donnerais
tout mon amour (et nul ne sait la quantite d'amour que contiennent mes
aspirations vers le beau), si tu ne me faisais douloureusement penser
a mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste,
l'antithese la plus bouffonne que l'on ait jamais vue dans la creation:
je ne puis pas t'aimer, je te deteste. Pourquoi reviens-je a toi, pour
la millieme fois, vers tes bras amis, qui s'entrouvent, pour caresser
mon front brulant, qui voit disparaitre la fievre a leur contact! Je ne
connais pas ta destinee cachee; tout ce qui te concerne m'interesse.
Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des tenebres. Dis-le moi ...
dis-le moi, ocean (a moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n'ont
encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan cree les
tempetes qui soulevent tes eaux salees jusqu'aux nuages. Il faut que tu
me le dises, parce que je me rejouirais de savoir l'enfer si pres de
l'homme. Je veux que celle-ci soit la derniere strophe de mon
invocation. Par consequent, une seule fois encore, je veux te saluer et
te faire mes adieux! Vieil ocean, aux vagues de cristal .
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