ienfaisant avare! et l'on
meconnait votre sacrifice.
"Qu'importe! voulez-vous rendre a Planchet son argent? Je
comprends cela, mon ami, car il ne convient pas qu'un gentilhomme
emprunte a son inferieur sans lui rendre capital et interets. Eh
bien! je vendrai La Fere s'il le faut, ou, s'il n'est besoin,
quelque petite ferme. Vous paierez Planchet, et il restera,
croyez-moi, encore assez de grain pour nous deux et pour Raoul
dans mes greniers. De cette facon, mon ami, vous n'aurez
d'obligation qu'a vous-meme, et, si je vous connais bien, ce ne
sera pas pour votre esprit une mince satisfaction que de vous
dire: "J'ai fait un roi." Ai-je raison?
-- Athos! Athos! murmura d'Artagnan reveur, je vous l'ai dit une
fois, le jour ou vous precherez, j'irai au sermon; le jour ou vous
me direz qu'il y a un enfer, mordioux! j'aurai peur du gril et des
fourches. Vous etes meilleur que moi, ou plutot meilleur que tout
le monde, et je ne me reconnais qu'un merite, celui de n'etre pas
jaloux. Hors ce defaut, Dieu me damne! comme disent les Anglais,
j'ai tous les autres.
-- Je ne connais personne qui vaille d'Artagnan, repliqua Athos;
mais nous voici arrives tout doucement a la maison que j'habite.
Voulez-vous entrer chez moi, mon ami?
-- Eh! mais c'est la taverne de la Corne-du-Cerf, ce me semble?
dit d'Artagnan.
-- Je vous avoue, mon ami, que je l'ai un peu choisie pour cela.
J'aime les anciennes connaissances, j'aime a m'asseoir a cette
place ou je me suis laisse tomber tout abattu de fatigue, tout
abime de desespoir, lorsque vous revintes le 30 janvier au soir.
-- Apres avoir decouvert la demeure du bourreau masque? Oui, ce
fut un terrible jour!
-- Venez donc alors, dit Athos en l'interrompant.
Ils entrerent dans la salle autrefois commune. La taverne en
general, et cette salle commune en particulier, avaient subi de
grandes transformations; l'ancien hote des mousquetaires, devenu
assez riche pour un hotelier, avait ferme boutique et fait de
cette salle dont nous parlions un entrepot de denrees coloniales.
Quant au reste de la maison, il le louait tout meuble aux
etrangers.
Ce fut avec une indicible emotion que d'Artagnan reconnut tous les
meubles de cette chambre du premier etage: les boiseries, les
tapisseries et jusqu'a cette carte geographique que Porthos
etudiait si amoureusement dans ses loisirs.
-- Il y a onze ans! s'ecria d'Artagnan. Mordioux! il me semble
qu'il y a un siecle.
-- Et a moi qu'il y a
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