i ce n'est roi, du moins presque
roi, il vaut une somme que je ne pourrais peut-etre pas payer.
Voyons, monsieur d'Artagnan, menagez-moi: combien vous dois-je?
D'Artagnan, ravi de la tournure que prenait la chose, mais se
possedant parfaitement, repondit:
-- Sire, Votre Majeste a tort de s'alarmer. Lorsque j'eus le
bonheur de prendre Sa Grace, M. Monck n'etait que general; ce
n'est donc qu'une rancon de general qui m'est due. Mais que le
general veuille bien me rendre son epee, et je me tiens pour paye,
car il n'y a au monde que l'epee du general qui vaille autant que
lui.
-- _Odds fish!_ comme disait mon pere, s'ecria Charles II; voila
un galant propos et un galant homme, n'est-ce pas, duc?
-- Sur mon honneur! repondit le duc, oui, Sire.
Et il tira son epee.
-- Monsieur, dit-il a d'Artagnan, voila ce que vous demandez.
Beaucoup ont tenu de meilleures lames; mais, si modeste que soit
la mienne, je ne l'ai jamais rendue a personne.
D'Artagnan prit avec orgueil cette epee qui venait de faire un
roi.
-- Oh! oh! s'ecria Charles II: quoi! une epee qui m'a rendu mon
trone sortirait de mon royaume et ne figurerait pas un jour parmi
les joyaux de ma couronne? Non, sur mon ame! cela ne sera pas!
Capitaine d'Artagnan, je donne deux cent mille livres de cette
epee: si c'est trop peu, dites-le-moi.
-- C'est trop peu, Sire, repliqua d'Artagnan avec un serieux
inimitable. Et d'abord je ne veux point la vendre; mais Votre
Majeste desire, et c'est la un ordre. J'obeis donc; mais le
respect que je dois a l'illustre guerrier qui m'entend me commande
d'estimer a un tiers de plus le gage de ma victoire. Je demande
donc trois cent mille livres de l'epee, ou je la donne pour rien a
Votre Majeste.
Et, la prenant par la pointe, il la presenta au roi. Charles II se
mit a rire aux eclats.
-- Galant homme et joyeux compagnon! _Odds fish! _n'est-ce pas,
duc? n'est-ce pas, comte? Il me plait et je l'aime. Tenez,
chevalier d'Artagnan, dit-il, prenez ceci.
Et, allant a une table, il prit une plume et ecrivit un bon de
trois cent mille livres sur son tresorier.
D'Artagnan le prit, et se tournant gravement vers Monck:
-- J'ai encore demande trop peu, je le sais, dit-il; mais croyez-
moi, monsieur le duc, j'eusse aime mieux mourir que de me laisser
guider par l'avarice.
Le roi se remit a rire comme le plus heureux _cokney_ de son
royaume.
-- Vous reviendrez me voir avant de partir, chevalier, dit-il;
j'aurai beso
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