-- Et moi faire des piles, dit Planchet. Commencez, mon cher
patron.
-- Voici, dit d'Artagnan en prenant haleine.
-- Voila, dit Planchet en ramassant sa premiere poignee d'ecus.
Chapitre XXXIX -- Le jeu de M. de Mazarin
Dans une grande chambre du Palais-Royal, tendue de velours sombre
que rehaussaient les bordures dorees d'un grand nombre de
magnifiques tableaux, on voyait, le soir meme de l'arrivee de nos
deux Francais, toute la cour reunie devant l'alcove de M. le
cardinal Mazarin, qui donnait a jouer au roi et a la reine.
Un petit paravent separait trois tables dressees dans la chambre.
A l'une de ces tables, le roi et les deux reines etaient assis;
Louis XIV, place en face de la jeune reine, sa femme, lui souriait
avec une expression de bonheur tres reel.
Anne d'Autriche tenait les cartes contre le cardinal, et sa bru
l'aidait au jeu, lorsqu'elle ne souriait pas a son epoux. Quant au
cardinal, qui etait couche avec une figure fort amaigrie, fort
fatiguee, son jeu etait tenu par la comtesse de Soissons, et il y
plongeait un regard incessant plein d'interet et de cupidite.
Le cardinal s'etait fait farder par Bernouin; mais le rouge qui
brillait aux pommettes seules faisait ressortir d'autant plus la
paleur maladive du reste de la figure et le jaune luisant du
front. Seulement les yeux en prenaient un eclat plus vif, et sur
ces yeux de malade s'attachaient de temps en temps les regards
inquiets du roi, des reines et des courtisans. Le fait est que les
deux yeux du _signor_ Mazarin etaient les etoiles plus ou moins
brillantes sur lesquelles la France du XVIIeme siecle lisait sa
destinee chaque soir et chaque matin.
Monseigneur ne gagnait ni ne perdait; il n'etait donc ni gai ni
triste. C'etait une stagnation dans laquelle n'eut pas voulu le
laisser Anne d'Autriche, pleine de compassion pour lui; mais, pour
attirer l'attention du malade par quelque coup d'eclat, il eut
fallu gagner ou perdre. Gagner, c'etait dangereux, parce que
Mazarin eut change son indifference en une laide grimace; perdre,
c'etait dangereux aussi, parce qu'il eut fallu tricher, et que
l'infante, veillant au jeu de sa belle-mere, se fut sans doute
recriee sur sa bonne disposition pour M. de Mazarin.
Profitant de ce calme, les courtisans causaient. M. de Mazarin,
lorsqu'il n'etait pas de mauvaise humeur, etait un prince
debonnaire, et lui, qui n'empechait personne de chanter, pourvu
que l'on payat, n'etait pas assez tyran pour
|