taine d'arpents de terre;
acceptez-la.
-- Oh! milord...
-- Dame! vous serez la chez vous, et ce sera le refuge dont vous
me parliez tout a l'heure.
-- Moi, je serais votre oblige a ce point, milord! En verite, j'en
ai honte!
-- Non pas, monsieur, reprit Monck avec un fin sourire, non pas,
c'est moi qui serai le votre.
Et serrant la main du mousquetaire:
-- Je vais faire dresser l'acte de donation, dit-il.
Et il sortit.
D'Artagnan le regarda s'eloigner et demeura pensif et meme emu.
-- Enfin, dit-il, voila pourtant un brave homme. Il est triste de
sentir seulement que c'est par peur de moi et non par affection
qu'il agit ainsi. Eh! bien! je veux que l'affection lui vienne.
Puis, apres un instant de reflexion plus profonde:
-- Bah! dit-il, a quoi bon? C'est un Anglais!
Et il sortit, a son tour, un peu etourdi de ce combat.
-- Ainsi, dit-il, me voila proprietaire. Mais comment diable
partager le cottage avec Planchet? A moins que je ne lui donne les
terres et que je ne prenne le chateau, ou bien que ce ne soit lui
qui ne prenne le chateau, et moi... Fi donc! M. Monck ne
souffrirait point que je partageasse avec un epicier une maison
qu'il a habitee! Il est trop fier pour cela! D'ailleurs, pourquoi
en parler? Ce n'est point avec l'argent de la societe que j'ai
acquis cet immeuble; c'est avec ma seule intelligence; il est donc
bien a moi. Allons retrouver Athos.
Et il se dirigea vers la demeure du comte de La Fere.
Chapitre XXXVII -- Comment d'Artagnan regla le passif de la
societe avant d'etablir son actif
"Decidement, se dit d'Artagnan, je suis en veine. Cette etoile qui
luit une fois dans la vie de tout homme, qui a lui pour Job et
pour Irus, le plus malheureux des Juifs et le plus pauvre des
Grecs, vient enfin de luire pour moi. Je ne ferai pas de folie, je
profiterai; c'est assez tard pour que je sois raisonnable."
Il soupa ce soir-la de fort bonne humeur avec son amis Athos, ne
lui parla pas de la donation attendue, mais ne put s'empecher,
tout en mangeant, de questionner son ami sur les provenances, les
semailles, les plantations.
Athos repondit complaisamment, comme il faisait toujours. Son idee
etait que d'Artagnan voulait devenir proprietaire; seulement, il
se prit plus d'une fois a regretter l'humeur si vive, les saillies
si divertissantes du gai compagnon d'autrefois. D'Artagnan, en
effet, profitait du reste de graisse figee sur l'assiette pour y
tracer des chiffres
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