ner sur sa chaise.
-- Et si cela etait, dit-il avec lenteur et en balancant la tete
du haut en bas, que dirais-tu, mon pauvre ami?
Planchet, de pale qu'il etait, devint jaune. On eut dit qu'il
allait avaler sa langue, tant son gosier s'enflait, tant ses yeux
rougissaient.
-- Vingt mille livres! murmura-t-il, vingt mille livres,
cependant!...
D'Artagnan, le cou detendu, les jambes allongees, les mains
paresseuses, ressemblait a une statue du decouragement; Planchet
arracha un douloureux soupir des cavites les plus profondes de sa
poitrine.
-- Allons, dit-il, je vois ce qu'il en est. Soyons hommes. C'est
fini, n'est-ce pas? Le principal, monsieur, est que vous ayez
sauve votre vie.
-- Sans doute, sans doute, c'est quelque chose que la vie; mais,
en attendant, je suis ruine, moi.
-- Cordieu! monsieur, dit Planchet, s'il en est ainsi, il ne faut
point se desesperer pour cela; vous vous mettrez epicier avec moi;
je vous associe a mon commerce; nous partagerons les benefices, et
quand il n'y aura plus de benefices, eh bien! nous partagerons les
amandes, les raisins secs et les pruneaux, et nous grignoterons
ensemble le dernier quartier de fromage de Hollande.
D'Artagnan ne put y resister plus longtemps.
-- Mordioux! s'ecria-t-il tout emu, tu es un brave garcon, sur
l'honneur, Planchet! Voyons, tu n'as pas joue la comedie? Voyons,
tu n'avais pas vu la-bas dans la rue, sous l'auvent, le cheval aux
sacoches?
-- Quel cheval? quelles sacoches? dit Planchet, dont le coeur se
serra a l'idee que d'Artagnan devenait fou.
-- Eh! les sacoches anglaises, mordioux! dit d'Artagnan tout
radieux, tout transfigure.
-- Ah! mon Dieu! articula Planchet en se reculant devant le feu
eblouissant de ses regards.
-- Imbecile! s'ecria d'Artagnan, tu me crois fou. Mordioux!
jamais, au contraire, je n'ai eu la tete plus saine et le coeur
plus joyeux. Aux sacoches, Planchet, aux sacoches!
-- Mais a quelles sacoches, mon Dieu?
D'Artagnan poussa Planchet vers la fenetre.
-- Sous l'auvent, la-bas, lui dit-il, vois-tu un cheval?
-- Oui.
-- Lui vois-tu le dos embarrasse?
-- Oui, oui.
-- Vois-tu un de tes garcons qui cause avec le postillon?
-- Oui, oui, oui.
-- Eh bien! tu sais le nom de ce garcon, puisqu'il est a toi.
Appelle-le.
-- Abdon! Abdon! vocifera Planchet par la fenetre.
-- Amene le cheval, souffla d'Artagnan.
-- Amene le cheval! hurla Planchet.
-- Maintenant, dix livres au postillon,
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