'Artagnan, Charles II recoit M. Monck a neuf
heures, moi il me recevra a dix heures; c'est une grande audience,
de celles que nous appelons au Louvre distribution d'eau benite de
cour. Allons nous mettre sous la gouttiere, mon cher ami, allons.
Athos ne lui repondit rien, et tous deux se dirigerent, en
pressant le pas, vers le palais de Saint-James que la foule
envahissait encore, pour apercevoir aux vitres les ombres des
courtisans et les reflets de la personne royale. Huit heures
sonnaient quand les deux amis prirent place dans la galerie pleine
de courtisans et de solliciteurs. Chacun donna un coup d'oeil a
ces habits simples et de forme etrangere, a ces deux tetes si
nobles, si pleines de caractere et de signification. De leur cote,
Athos et d'Artagnan, apres avoir en deux regards mesure toute
cette assemblee, se remirent a causer ensemble. Un grand bruit se
fit tout a coup aux extremites de la galerie: c'etait le general
Monck qui entrait, suivi de plus de vingt officiers qui quetaient
un de ses sourires, car il etait la veille encore maitre de
l'Angleterre, et on supposait un beau lendemain au restaurateur de
la famille des Stuarts.
-- Messieurs, dit Monck en se detournant, desormais, je vous prie,
souvenez-vous que je ne suis plus rien. Naguere encore je
commandais la principale armee de la republique; maintenant cette
armee est au roi, entre les mains de qui je vais remettre, d'apres
son ordre, mon pouvoir d'hier.
Une grande surprise se peignit sur tous les visages, et le cercle
d'adulateurs et de suppliants qui serrait Monck l'instant
d'auparavant s'elargit peu a peu et finit par se perdre dans les
grandes ondulations de la foule. Monck allait faire antichambre
comme tout le monde. D'Artagnan ne put s'empecher d'en faire la
remarque au comte de La Fere, qui fronca le sourcil. Soudain la
porte du cabinet de Charles s'ouvrit, et le jeune roi parut,
precede de deux officiers de sa maison.
-- Bonsoir, messieurs, dit-il. Le general Monck est-il ici?
-- Me voici, Sire, repliqua le vieux general.
Charles courut a lui et lui prit les mains avec une fervente
amitie.
-- General, dit tout haut le roi, je viens de signer votre brevet;
vous etes duc d'Albermale, et mon intention est que nul ne vous
egale en puissance et en fortune dans ce royaume, ou, le noble
Montrose excepte, nul ne vous a egale en loyaute, en courage et en
talent. Messieurs, le duc est commandant general de nos armees de
terre et de mer
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