le lieu ou saint Paul, dans une
vision, fut renverse de cheval et aveugle. Il se fit aussitot conduire a
Damas pour y recevoir le bapteme, et l'endroit ou on le baptisa est
aujourd'hui une mosquee.
Je vis aussi la pierre sur laquelle saint George monta a cheval quand il
alla combattre le dragon. Elle a deux pieds en carre. On pretend
qu'autrefois les Sarrasins avoient voulu l'enlever, et que jamais, quelques
moyens qu'ils aient employes, ils n'ont pu y reussir.
Apres avoir vu Damas nous revinmes a Barut, messire Sanson et moi: nous y
trouvames messire Andre, Pierre de Vaudrey, Geoffroi de Thoisi et Jean de
la Roe, qui deja s'y etoient rendus, comme me l'avoit annonce Jacques
Coeur. La galere y arriva d'Alexandrie trois ou quatre jours apres; mais,
pendant ce court intervalle, nous fumes temoins d'une fete que les Maures
celebrerent a leur ancienne maniere.
Elle commenca le soir, au coucher du soleil. Des troupes nombreuses,
eparses ca et la, chantoient et poussoient de grands cris. Pendant ce temps
on tiroit le canon du chateau, et les gens de la ville lancoient en l'air,
bien haut et bien loin, une maniere de feu plus gros que le plus gros
fallot que je visse oncques allume. Ils me dirent qu'ils s'en servoient
quelquefois a la mer pour bruler les voiles d'un vaisseau ennemi. Il me
semble que, comme c'est chose bien aisee et de une petite despense, on
pourroit l'employer egalement, soit a consumer un camp ou un village
couvert en paille, soit dans un combat de cavalerie, a epouvanter les
chevaux.
Curieux d'en connoitre la composition, j'envoyai vers celui qui le faisoit
le valet de mon hote, et lui fis demander de me l'apprendre. Il me repondit
qu'il n'oseroit, et que ce seroit pour lui une affaire trop dangereuse, si
elle etoit sue; mais comme il n'est rien qu'un Maure ne fasse pour de
l'argent, je donnai a celui-ci un ducat, et, pour l'amour du ducat, il
m'apprit tout ce qu'il savoit, et me donna meme des moules en bois et
autres ingrediens que j'ai apportes en France.
La veille de l'embarquement je pris a part messire Andre de Toulongeon, et
apres lui avoir fait promettre qu'il ne s'opposeroit en rien a ce que
j'allois lui reveler, je lui fis part du projet que j'avois forme de
retourner par terre. Consequemment a sa parole donnee, il ne tenta point de
m'en empecher; mais il me representa tout ce que j'allois courir de
dangers, et celui sur-tout de me voir contraint a renier la foi de
Jesus-Christ. Au reste
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