ques pas, et, des qu'on s'eloignait,
reprenait sa place avec opiniatrete. Les pierres et les balles la
frappaient sans la blesser; enfin on croyait dans le pays que c'etait un
demon, ou l'un des chiens du grand veneur, ou du roi Arthus, ou encore la
chienne favorite de saint Hubert, ou enfin le chien de Montargis, qui,
present a l'assassinat de son maitre dans la foret de Bondi, revela le
meurtrier, et vengea l'homicide au XIVe siecle. On disait aussi que des
sorciers faisaient assurement le sabbat sous les deux chenes.
Un jeune garcon de dix a douze ans, dont les parents habitaient la lisiere
de la foret, faisait ordinairement de petits fagots a quelque distance de
la. Un soir qu'il ne revint pas, son pere, ayant pris sa lanterne et son
fusil, s'en alla avec son fils aine battre le bois. La nuit etait sombre.
Malgre la lanterne, les deux bucherons se heurtaient a chaque instant
contre les arbres, s'embarrassaient dans les ronces, revenaient sur leurs
pas et s'egaraient sans cesse. "Voila qui est singulier, dit enfin le pere;
il ne faut qu'une heure pour traverser le bois, et nous marchons depuis
deux sans avoir trouve les chenes; il faut que nous les ayons passes."
En ce moment, un tourbillon ebranlait la foret. Ils leverent les yeux, et
virent, a vingt pas, les deux chenes. Ils marcherent dans cette direction;
mais a mesure qu'ils avancent, il semble que les chenes s'eloignent: la
foret parait ne plus finir; on entend de toutes parts des sifflements,
comme si le bois etait rempli de serpents; ils sentent rouler a leurs pieds
des corps inconnus; des griffes entourent leurs jambes et les effleurent;
une odeur infecte les environne; ils croient sentir des etres impalpables
errer autour d'eux...
Le bucheron, extenue de fatigue, conseille a son fils de s'asseoir un
instant; mais son fils n'y est plus. Il voit a quelques pas, dans les
buissons, la lumiere vacillante de la lanterne; il remarque le bas des
jambes de son fils, qui l'appelle; il ne reconnait pas la voix. Il se leve;
alors la lanterne disparait; il ne sait plus ou il se trouve; une sueur
froide decoule de tous ses membres; un air glace frappe son visage, comme
si deux grandes ailes s'agitaient au-dessus de lui. Il s'appuie contre un
arbre, laisse tomber son fusil, recommande son ame a Dieu, et tire de son
sein un crucifix; il se jette a genoux et perd connaissance.
Le soleil etait leve lorsqu'il se reveilla; il vit son fusil brise et
macere comme si on l'e
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