atante la blancheur de la campagne ou
apparaissaient tantot une ligne de grands arbres vetus de givre, tantot
une chaumiere avec un capuchon de neige.
Dans la voiture, on se regardait curieusement, a la triste clarte de
cette aurore.
Tout au fond, aux meilleures places, sommeillaient, en face l'un de
l'autre, M. et Mme Loiseau, des marchands de vins en gros de la rue
Grand-Pont.
Ancien commis d'un patron ruine dans les affaires, Loiseau avait achete
le fonds et fait fortune. Il vendait a tres bon marche de tres
mauvais vin aux petits debitants des campagnes et passait parmi ses
connaissances et ses amis pour un fripon madre, un vrai Normand plein de
ruses et de jovialite.
Sa reputation de filou etait si bien etablie, qu'un soir, a la
prefecture, M. Tournel, auteur de fables et de chansons, esprit mordant
et fin, une gloire locale, ayant propose aux dames qu'il voyait un peu
somnolentes de faire une partie de "Loiseau vole", le mot lui-meme vola
a travers les salons du prefet, puis, gagnant ceux de la ville, avait
fait rire pendant un mois toutes les machoires de la province.
Loiseau etait en outre celebre par ses farces de toute nature, ses
plaisanteries bonnes ou mauvaises; et personne ne pouvait parler de lui
sans ajouter immediatement:--"Il est impayable, ce Loiseau."
De taille exigue, il presentait un ventre en ballon surmonte d'une face
rougeaude entre deux favoris grisonnants.
Sa femme, grande, forte, resolue, avec la voix haute et la decision
rapide, etait l'ordre et l'arithmetique de la maison de commerce, qu'il
animait par son activite joyeuse.
A cote d'eux se tenait, plus digne, appartenant a une caste superieure,
M. Carre-Lamadon, homme considerable, pose dans les cotons, proprietaire
de trois filatures, officier de la Legion d'honneur et membre du Conseil
general. Il etait reste, tout le temps de l'Empire, chef de l'opposition
bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement
a la cause qu'il combattait avec des armes courtoises, selon sa propre
expression. Mme Carre-Lamadon, beaucoup plus jeune que son mari,
demeurait la consolation des officiers de bonne famille envoyes a Rouen
en garnison.
Elle faisait vis-a-vis a son epoux, toute petite, toute mignonne, toute
jolie, pelotonnee dans ses fourrures, et regardait d'un oeil navre
l'interieur lamentable de la voiture.
Ses voisins, le comte et la comtesse Hubert de Breville, portaient un
des noms les plus anciens et l
|