moi qu'ils l'ont commis. Je fus la victime, eux
furent les coupables. J'etais sans defense, ils furent sans pitie. Ils
devaient m'aimer: ils m'ont rejete.
Moi, je leur devais la vie--mais la vie est-elle un present? La mienne,
en tous cas, n'etait qu'un malheur. Apres leur honteux abandon, je leur
devais plus que la vengeance. Ils ont accompli contre moi l'acte le plus
inhumain, le plus infame, le plus monstrueux qu'on puisse accomplir
contre un etre.
Un homme injurie frappe; un homme vole reprend son bien par la force.
Un homme trompe, joue, martyrise, tue. Un homme soufflete tue; un
homme deshonore tue. J'ai ete plus vole, trompe, martyrise, soufflete
moralement, deshonore, que tous ceux dont vous absolvez la colere.
Je me suis venge, j'ai tue. C'etait mon droit legitime. J'ai pris leur
vie heureuse en echange de la vie horrible qu'ils m'avaient imposee.
Vous allez parler de parricide! Etaient-ils mes parents, ces gens pour
qui je fus un fardeau abominable, une terreur, une tache d'infamie; pour
qui ma naissance fut une calamite, et ma vie une menace de honte? Ils
cherchaient un plaisir egoiste; ils ont eu un enfant imprevu. Ils ont
supprime l'enfant. Mon tour est venu d'en faire autant pour eux.
Et pourtant, dernierement encore, j'etais pret a les aimer.
Voici deux ans, je vous l'ai dit, que l'homme, mon pere, entra chez
moi pour la premiere fois. Je ne soupconnais rien. Il me commanda deux
meubles. Il avait pris, je le sus plus tard, des renseignements aupres
du cure, sous le sceau du secret, bien entendu.
Il revint souvent; il me faisait travailler et payait bien. Parfois meme
il causait un peu de choses et d'autres. Je me sentais de l'affection
pour lui.
Au commencement de cette annee il amena sa femme, ma mere. Quand elle
entra, elle tremblait si fort que je la crus atteinte d'une maladie
nerveuse. Puis elle demanda un siege et un verre d'eau. Elle ne dit
rien; elle regarda mes meubles d'un air fou, et elle ne repondait que
oui et non, a tort et a travers, a toutes les questions qu'il lui
posait! Quand elle fut partie, je la crus un peu toquee.
Elle revint le mois suivant. Elle etait calme, maitresse d'elle. Ils
resterent, ce jour-la, assez longtemps a bavarder, et ils me firent une
grosse commande. Je la revis encore trois fois, sans rien deviner; mais
un jour voila qu'elle se mit a me parler de ma vie, de mon enfance, de
mes parents. Je repondis: "Mes parents, madame, etaient des miserables
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