on seule est
suffisante. Eh bien, j'ai cherche, cherche, et j'ai fini, a force
d'interroger toutes les femmes des matelots absents, par me convaincre
qu'il ne se passait pas huit jours sans que l'une d'elles ou l'un des
enfants revat et annoncat a son reveil que le "pe etait mort a la me".
La crainte horrible et constante de cet accident fait qu'ils en parlent
toujours, y pensent sans cesse. Or, si une de ces frequentes predictions
coincide, par un hasard tres simple, avec une mort, on crie aussitot au
miracle, car on oublie soudain tous les autres songes, tous les autres
presages, toutes les autres propheties de malheur, demeures sans
confirmation. J'en ai pour ma part considere plus de cinquante dont les
auteurs, huit jours plus tard, ne se souvenaient meme plus. Mais si
l'homme, en effet, etait mort, la memoire se serait immediatement
reveillee, et l'on aurait celebre l'intervention de Dieu selon les uns,
du magnetisme selon les autres.
Un des fumeurs declara:
--C'est assez juste, ce que vous dites la, mais voyons votre seconde
histoire?
--Oh! ma seconde histoire est fort delicate a raconter. C'est a
moi qu'elle est arrivee, aussi je me defie un rien de ma propre
appreciation. On n'est jamais equitablement juge et partie. Enfin la
voici:
"J'avais dans mes relations mondaines une jeune femme a laquelle je ne
songeais nullement, que je n'avais meme jamais regardee attentivement,
jamais remarquee, comme on dit.
"Je la classais parmi les insignifiantes, bien qu'elle ne fut pas laide;
enfin elle me semblait avoir des yeux, un nez, une bouche, des cheveux
quelconques, toute une physionomie terne; c'etait un de ces etres sur
qui la pensee ne semble se poser que par hasard, ne se pouvoir arreter,
sur qui le desir ne s'abat point.
"Or, un soir, que j'ecrivais des lettres au coin de mon feu avant de me
mettre au lit, j'ai senti au milieu de ce devergondage d'idees, de
cette procession d'images qui vous effleurent le cerveau quand on reste
quelques minutes revassant, la plume en l'air, une sorte de petit
souffle qui me passait dans l'esprit, un tout leger frisson du coeur, et
immediatement, sans raison, sans aucun enchainement de pensees logique,
j'ai vu distinctement, vu comme si je la touchais, vu des pieds a la
tete, et sans voile, cette jeune femme a qui je n'avais jamais songe
plus de trois secondes de suite, le temps que son nom me traversat la
tete. Et soudain je lui decouvris un tas de qualites que je n'av
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