pain du vice!
Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-la! _(bis.)_
Toute la table applaudit avec frenesie. Le pere Touchard declara: "Ca,
c'est tape." La cuisiniere invitee tourna dans sa main un crouton
qu'elle regardait avec attendrissement. M. Sauvetanin murmura: "Tres
bien!" Et la tante Lamondois s'essuyait deja les yeux avec sa serviette.
Le marie annonca: "Deuxieme couplet" et le lanca avec une energie
croissante:
Respect au malheureux qui, tout brise par l'age,
Nous implore en passant sur le bord du chemin,
Mais fletrissons celui qui, desertant l'ouvrage,
Alerte et bien portant, ose tendre la main.
Mendier sans besoin, c'est voler la vieillesse.
C'est voler l'ouvrier que le travail courba _(bis.)_
Honte a celui qui vit du pain de la paresse,
Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-la _(bis.)_
Tous, meme les deux servants restes debout contre les murs, hurlerent
en choeur le refrain. Les voix fausses et pointues des femmes faisaient
detonner les voix grasses des hommes.
La tante et la mariee pleuraient tout a fait. Le pere Taille se mouchait
avec un bruit de trombone, et le pere Touchard affole brandissait
un pain tout entier jusqu'au milieu de la table. La cuisiniere amie
laissait tomber des larmes muettes sur son crouton qu'elle tourmentait
toujours.
M. Sauvetanin prononca au milieu de l'emotion generale: "Voila des
choses saines, bien differentes des gaudrioles."
Anna, troublee aussi, envoyait des baisers a sa soeur et lui montrait
d'un signe amical son mari, comme pour la feliciter.
Le jeune homme, grise par le succes, reprit:
Dans ton simple reduit, ouvriere gentille,
Tu sembles ecouter la voix du tentateur!
Pauvre enfant, va, crois-moi, ne quitte pas l'aiguille.
Tes parents n'ont que toi, toi seule es leur bonheur.
Dans un luxe honteux trouveras-tu des charmes
Lorsque, te maudissant, ton pere expirera? _(bis)_
Le pain du deshonneur se petrit dans les larmes.
Chers enfants, gardez-vous de toucher ce pain-la, _(bis.)_
Seuls les deux servants et le pere Touchard reprirent le refrain. Anna,
toute pale, avait baisse les yeux. Le marie, interdit, regardait autour
de lui sans comprendre la cause de ce froid subit. La cuisiniere avait
soudain lache son crouton comme s'il etait devenu empoisonne.
M. Sauvetanin declara gravement, pour sauver la situation: "Le dernier
couplet est de trop." Le pere Taille, rouge jusqu'aux oreilles, roulait
des re
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