vement se fit autour d'elle; chacun discutait, cherchait la cause
de cet ordre. Le comte s'approcha:
--Vous avez tort, madame, car votre refus peut amener des difficultes
considerables, non seulement pour vous, mais meme pour tous vos
compagnons. Il ne faut jamais resister aux gens qui sont les plus forts.
Cette demarche assurement ne peut presenter aucun danger; c'est sans
doute pour quelque formalite oubliee.
Tout le monde se joignit a lui, on la pria, on la pressa, on la
sermonna, et l'on finit par la convaincre; car tous redoutaient les
complications qui pourraient resulter d'un coup de tete. Elle dit enfin:
--C'est pour vous que je le fais, bien sur!
La comtesse lui prit la main:
--Et nous vous remercions.
Elle sortit. On l'attendit pour se mettre a table.
Chacun se desolait de n'avoir pas ete demande a la place de cette fille
violente et irascible, et preparait mentalement des platitudes pour le
cas ou on l'appellerait a son tour.
Mais, au bout de dix minutes, elle reparut, soufflant, rouge a
suffoquer, exasperee. Elle balbutiait: "Oh! la canaille! la canaille!"
Tous s'empressaient pour savoir, mais elle ne dit rien; et comme le
comte insistait, elle repondit avec une grande dignite: "Non, cela ne
vous regarde pas, je ne peux pas parler."
Alors on s'assit autour d'une haute soupiere d'ou sortait un parfum de
choux. Malgre cette alerte, le souper fut gai. Le cidre etait bon, le
menage Loiseau et les bonnes soeurs en prirent, par economie. Les autres
demanderent du vin; Cornudet reclama de la biere. Il avait une facon
particuliere de deboucher la bouteille, de faire mousser le liquide, de
le considerer en penchant le verre, qu'il elevait ensuite entre la lampe
et son oeil pour bien apprecier la couleur. Quand il buvait, sa grande
barbe, qui avait garde la nuance de son breuvage aime, semblait
tressaillir de tendresse; ses yeux louchaient pour ne point perdre
de vue sa chope, et il avait l'air de remplir l'unique fonction pour
laquelle il etait ne. On eut dit qu'il etablissait en son esprit un
rapprochement et comme une affinite entre les deux grandes passions qui
occupaient toute sa vie: le Pale Ale et la Revolution; et assurement il
ne pouvait deguster l'un sans songer a l'autre.
M. et Mme Follenvie dinaient tout au bout de la table. L'homme, ralant
comme une locomotive crevee, avait trop de tirage dans la poitrine pour
pouvoir parler en mangeant; mais la femme ne se taisait jamais. Elle
rac
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