nt, les deux
lignes de voyageurs assis sur les deux cotes du pont.
Tout a coup Sidoine prononca avec une veritable expression de rage:
--C'est plein d'Anglais ici! Les sales gens!
C'etait plein d'Anglais, en effet. Les hommes debout lorgnaient
l'horizon d'un air important qui semblait dire: "C'est nous, les
Anglais, qui sommes les maitres de la mer! Boum, boum! nous voila!"
Et tous les voiles blancs qui flottaient sur leurs chapeaux blancs
avaient l'air des drapeaux de leur suffisance.
Les jeunes misses plates, dont les chaussures aussi rappelaient les
constructions navales de leur patrie, serrant en des chales multicolores
leur taille droite et leurs bras minces, souriaient vaguement au radieux
paysage. Leurs petites tetes, poussees au bout de ces longs corps,
portaient des chapeaux anglais d'une forme etrange, et, derriere
leurs cranes, leurs maigres chevelures enroulees ressemblaient a des
couleuvres lofees.
Et les vieilles misses, encore plus greles, ouvrant au vent leur
machoire nationale, paraissaient menacer l'espace de leurs dents jaunes
et demesurees.
On sentait, en passant pres d'elles, une odeur de caoutchouc et d'eau
dentifrice.
Sidoine repeta, avec une colere grandissante:
--Les sales gens! On ne pourra donc pas les empecher de venir en France?
Je demandai en souriant:
--Pourquoi leur en veux-tu? Quant a moi, ils me sont parfaitement
indifferents.
Il prononca:
--Oui, toi, parbleu! Mais moi, j'ai epouse une Anglaise. Voila.
Je m'arretai pour lui rire au nez.
--Ah! diable. Conte-moi ca. Et elle te rend donc tres malheureux?
Il haussa les epaules:
--Non, pas precisement.
--Alors ... elle te ... elle te ... trompe?
--Malheureusement non. Ca me ferait une cause de divorce et j'en serais
debarrasse.
--Alors je ne comprends pas!
--Tu ne comprends pas? Ca ne m'etonne point. Eh bien, elle a tout
simplement appris le francais, pas autre chose! Ecoute:
Je n'avais pas le moindre desir de me marier, quand je vins passer l'ete
a Etretat, voici deux ans. Rien de plus dangereux que les villes d'eaux.
On ne se figure pas combien les fillettes y sont a leur avantage. Paris
sied aux femmes et la campagne aux jeunes filles.
Les promenades a anes, les bains du matin, les dejeuners sur l'herbe,
autant de pieges a mariage. Et, vraiment, il n'y a rien de plus gentil
qu'une enfant de dix-huit ans qui court a travers un champ ou qui
ramasse des fleurs le long d'un chemin.
Je f
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