ommenca a pivoter galamment, sautillant, se tremoussant
d'une facon drole, souriant comme devant un public, faisant des graces,
arrondissant les bras, tortillant son pauvre corps de marionnette,
adressant dans le vide de legers saluts attendrissants et ridicules. Il
dansait!
Je demeurais petrifie d'etonnement, me demandant lequel des deux etait
fou, lui, ou moi.
Mais il s'arreta soudain, s'avanca comme font les acteurs sur la scene,
puis s'inclina en reculant avec des sourires gracieux et des baisers de
comedienne qu'il jetait de sa main tremblante aux deux rangees d'arbres
tailles.
Et il reprit avec gravite sa promenade.
* * * * *
A partir de ce jour, je ne le perdis plus de vue; et, chaque matin, il
recommencait son exercice invraisemblable.
Une envie folle me prit de lui parler. Je me risquai, et, l'ayant salue,
je lui dis:
--Il fait bien bon aujourd'hui, monsieur.
Il s'inclina.
--Oui, monsieur, c'est un vrai temps de jadis.
Huit jours apres, nous etions amis, et je connus son histoire. Il avait
ete maitre de danse a l'Opera, du temps du roi Louis XV. Sa belle canne
etait un cadeau du comte de Clermont. Et, quand on lui parlait de
danse, il ne s'arretait plus de bavarder.
Or, voila qu'un jour il me confia:
--J'ai epouse la Castris, monsieur. Je vous presenterai si vous voulez,
mais elle ne vient ici que sur le tantot. Ce jardin, voyez-vous, c'est
notre plaisir et notre vie. C'est tout ce qui nous reste d'autrefois. Il
nous semble que nous ne pourrions plus exister si nous ne l'avions
point. Cela est vieux et distingue, n'est-ce pas? Je crois y respirer un
air qui n'a point change depuis ma jeunesse. Ma femme et moi, nous y
passons toutes nos apres-midi. Mais, moi, j'y viens des le matin, car je
me leve de bonne heure.
* * * * *
Des que j'eus fini de dejeuner, je retournai au Luxembourg, et bientot
j'apercus mon ami qui donnait le bras avec ceremonie a une toute vieille
petite femme vetue de noir, et a qui je fus presente. C'etait la
Castris, la grande danseuse aimee des princes, aimee du roi, aimee de
tout ce siecle galant qui semble avoir laisse dans le monde une odeur
d'amour.
Nous nous assimes sur un banc de pierre. C'etait au mois de mai. Un
parfum de fleurs voltigeait dans les allees proprettes; un bon soleil
glissait entre les feuilles et semait sur nous de larges gouttes de
lumiere. La robe noire de la Castris sem
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