encore la chaleur du soleil, avec le parfum des
herbes fleuries au milieu desquelles elle avait pousse.
Maintenant il etait temps de souper et son estomac criait famine
presque aussi fort que sur la route d'Ecouen a Chantilly.
Heureusement ces mauvais jours etaient passes, et etablie dans
cette jolie petite ile, son coucher assure, n'ayant rien a
craindre de personne, ni de la pluie, ni de l'orage, ni de quoi
que ce fut, un bon morceau de pain dans sa poche, par cette belle
et douce soiree, elle ne devait se rappeler ses miseres que pour
les comparer a l'heure presente et se fortifier dans l'esperance
du lendemain.
Comme en mangeant lentement son pain, qu'elle coupait, par petits
morceaux de peur de l'emietter, elle ne faisait plus de bruit, la
population de l'etang, rassuree, revenait a son nid pour la nuit,
et a chaque instant c'etaient des vols qui rayaient l'or du
couchant, ou des apparitions d'oiseaux aquatiques qui sortaient
avec precaution des roseaux et nageaient doucement, le cou
allonge, la tete aux ecoutes pour reconnaitre la position. Et
comme leur reveil l'avait amusee le matin, leur coucher maintenant
la charmait.
Quant elle eut acheve son pain, qui tourna court, bien qu'elle
fit, a mesure qu'il diminuait, les morceaux de plus en plus
petits, les eaux de l'etang, quelques instants auparavant
brillantes comme un miroir, etaient devenues sombres, et le ciel
avait eteint son eblouissant incendie; dans quelques minutes la
nuit descendrait sur la terre, l'heure du coucher avait sonne.
Mais avant de fermer sa porte et de s'etendre sur son lit de
fougere, elle voulut prendre une derniere precaution, qui etait
d'enlever le pont jete sur le fosse. Assurement elle se croyait en
pleine securite dans l'aumuche; personne ne viendrait la deranger,
de cela elle etait sure; et, en tout cas, on ne pourrait pas en
approcher sans que les habitants de l'etang, qui avaient l'oreille
fine, lui donnassent l'eveil par leurs cris; mais enfin, tout cela
n'empechait pas que l'enlevement du pont, s'il etait possible, ne
fut une bonne chose.
Et puis il n'y avait pas que la question de securite dans cet
enlevement, il y avait aussi celle du plaisir: est-ce que ce ne
serait pas amusant de se dire qu'elle etait sans aucune
communication avec la terre, dans une vraie ile dont elle prenait
possession? Quel malheur de ne pas pouvoir hisser un drapeau sur
le toit comme cela se voit dans les recits de voyages, et de tirer
un co
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