qu'elle possedat maintenant et
qu'elle portait sur le dos, sans pouvoir l'oter pour la laver.
Combien couteraient deux metres de calicot, qui lui etaient
necessaires? Elle n'en savait rien. Comment les couperait-elle
lorsqu'elle les aurait? Elle ne le savait pas davantage. Et il y
avait la une serie d'interrogations qui lui donnaient a reflechir;
sans compter qu'elle se demandait s'il ne serait pas plus sage de
commencer par se faire un caraco et une jupe en indienne pour
remplacer sa veste et son jupon, qui se fatiguaient d'autant plus
qu'elle etait obligee de coucher avec. Le moment ou ils
l'abandonneraient tout a fait n'etait pas difficile a calculer.
Alors comment sortirait-elle? Et pour sa vie, pour son pain
quotidien, aussi bien que pour le succes de ses projets, il
fallait qu'elle continuat a etre admise a l'usine.
Cependant quand, le samedi soir, elle eut entre les mains les
trois francs qu'elle venait de gagner dans sa semaine, elle ne put
pas resister a la tentation de la chemise. Assurement le caraco et
la jupe n'avaient rien perdu de leur utilite a ses yeux; mais la
chemise aussi etait indispensable, et, de plus, elle se presentait
avec tout un entourage d'autres considerations: habitudes de
proprete dans lesquelles elle avait ete elevee, respect de soi-
meme, qui finirent par l'emporter. La veste, le jupon elle les
raccommoderait encore, et comme leur etoffe etait de fabrication
solide, ils porteraient bien sans doute quelques nouvelles
reprises.
Tous les jours, quand a l'heure du dejeuner elle allait de l'usine
a la maison de mere Francoise pour demander des nouvelles de
Rosalie, qu'on lui donnait ou qu'on ne lui donnait point, selon
que c'etait la grand'mere ou la tante qui lui repondaient, elle
s'arretait, depuis que l'envie de la chemise la tenait, devant une
petite boutique dont la montre se divisait en deux etalages, l'un
de journaux, d'images, de chansons, l'autre de toile, de calicot,
d'indienne, de mercerie; se placant au milieu, elle avait l'air de
regarder les journaux ou d'apprendre les chansons, mais en realite
elle admirait les etoffes. Comme elles etaient heureuses celles
qui pouvaient franchir le seuil de cette boutique tentatrice et se
faire couper autant de ces etoffes qu'elles voulaient! Pendant ses
longues stations, elle avait vu souvent des ouvrieres de l'usine
entrer dans ce magasin, et en ressortir avec des paquets
soigneusement enveloppes de papier, qu'elles serraient sur leur
|