pour ne pas pouvoir s'en acquitter; et, comme elle y
apportait toute son attention, tout son bon vouloir, le pere la
Quille, jusqu'a la sortie, ne cria pas plus d'une douzaine de fois
apres elle, et encore plutot pour l'avertir que pour la gronder:
"Ne t'amuse pas en chemin."
S'amuser elle n'y pensait pas, mais au moins, tout en poussant son
wagonet d'un bon pas regulier, sans s'arreter, pouvait-elle
regarder ce qui se passait dans les differents quartiers qu'elle
traversait, et voir ce qui lui avait echappe pendant qu'elle
ecoutait les explications de Rosalie? Un coup d'epaule pour mettre
son chariot en marche, un coup de reins pour le retenir lorsque se
presentait un encombrement, et c'etait tout; ses yeux, comme ses
idees, avaient pleine liberte de courir comme elle voulait.
A la sortie, tandis que chacun se hatait pour rentrer chez soi,
elle alla chez le boulanger et se fit couper une demi-livre de
pain qu'elle mangea en flanant par les rues, et en humant la bonne
odeur de soupe qui sortait des portes ouvertes devant lesquelles
elle passait, lentement quand c'etait une soupe qu'elle aimait,
plus vite quand c'en etait une qui la laissait indifferente. Pour
sa faim, une demi-livre de pain etait mince, aussi disparut-elle
vite; mais peu importait, depuis le temps qu'elle etait habituee a
imposer silence a son appetit, elle ne s'en portait pas plus mal:
il n'y a que les gens habitues a trop manger qui s'imaginent qu'on
ne peut pas rester sur sa faim; de meme, il n'y a que ceux qui ont
toujours eu leurs aises, pour croire qu'on ne peut pas boire a sa
soif, dans le creux de sa main, au courant d'une claire riviere.
XVII
Bien avant l'heure de la rentree aux ateliers, elle se trouva a la
grille des shedes, et a l'ombre d'un pilier, assise sur une borne,
elle attendit le sifflet d'appel, en regardant des garcons et des
filles de son age arrives comme elle en avance, jouer a courir ou
a sauter, mais sans oser se meler a leurs jeux, malgre l'envie
qu'elle en avait.
Quand Rosalie arriva, elle rentra avec elle et reprit son travail,
active comme dans la matinee par les cris et les coups de pilon de
la Quille, mais mieux justifies que dans la matinee, car a la
longue la fatigue, a mesure que la journee avancait, se faisait
plus lourdement sentir. Se baisser, se relever pour charger et
decharger le wagonet, lui donner un coup d'epaule pour le
demarrer, un coup de reins pour le retenir, le pousser, l'arreter,
qui n
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