t
paye par elle; mais alors ou en trouverait-elle un autre, et
surtout que dirait-elle a Rosalie pour expliquer d'une facon
acceptable que ce qui etait bon pour les autres ne l'etait pas
pour elle? Comment les autres, quand elles connaitraient ses
degouts, la traiteraient-elles? N'y aurait-il pas la une cause
d'animosite qui pouvait la contraindre a quitter l'usine? Ce
n'etait pas seulement bonne ouvriere qu'elle devait etre, c'etait
encore ouvriere comme les autres ouvrieres.
Et la journee s'etait ecoulee sans qu'elle osat se resoudre a
prendre un parti. Mais la blessure de Rosalie changeait la
situation: maintenant que la pauvre fille allait rester au lit
pendant plusieurs jours sans doute, elle ne saurait pas ce qui se
passerait a la chambree, qui y coucherait ou n'y coucherait point,
et par consequent ses questions ne seraient pas a craindre.
D'autre part, comme aucune de celles qui occupaient la chambree ne
savait qui avait ete leur voisine pour une nuit, elles ne
s'occuperaient pas non plus de cette inconnue, qui pouvait tres
bien avoir pris un logement ailleurs.
Cela etabli, et ce raisonnement fut vite fait, il ne restait qu'a
trouver ou elle irait coucher si elle abandonnait la chambree.
Mais elle n'avait pas a chercher. Combien souvent n'avait-elle pas
pense a l'aumuche avec une convoitise ravie! comme on serait bien
la pour dormir si c'etait possible! rien a craindre de personne
puisqu'elle n'etait frequentee que pendant la saison de la chasse,
ainsi que le numero du _Journal d'Amiens_ le prouvait: un toit sur
la tete, des murs chauds, une porte, et pour lit une bonne couche
de fougeres seches; sans compter le plaisir d'habiter dans une
maison a soi, la realite dans le reve.
Et voila que ce qui semblait irrealisable devenait tout a coup
possible et facile.
Elle n'eut pas une seconde d'hesitation, et apres avoir ete chez
le boulanger acheter la demi-livre de pain de son souper, au lieu
de retourner chez mere Francoise, elle reprit le chemin qu'elle
avait parcouru le matin pour venir aux ateliers.
Mais en ce moment des ouvriers qui demeuraient aux environs de
Maraucourt suivaient ce chemin pour rentrer chez eux, et comme
elle ne voulait point, qu'ils la vissent se glisser dans le
sentier de l'oseraie, elle alla s'asseoir dans le taillis qui
dominait la prairie; quand elle serait seule, elle gagnerait
l'aumuche, et la bien tranquille, la porte ouverte sur l'etang, en
face du soleil couchant, assuree
|