ot ayant ouvert une porte, elle introduisit Perrine dans
une longue salle, ou la valse vertigineuse de milliers de broches
en mouvement produisait un vacarme assourdissant.
Cependant, malgre le tapage, elles entendirent une voix d'homme
qui criait:
"Te voila, rodeuse!
-- Qui, rodeuse? qui rodeuse? s'ecria Rosalie, ce n'est pas moi,
entendez-vous, pere la Quille?
-- D'ou viens-tu?
-- C'est l'Mince qui m'a dit de vous amener cette jeune fille pour
que vous la mettiez aux wagonets,"
Celui qui leur avait adresse cet aimable salut etait un vieil
ouvrier a jambe de bois, estropie une dizaine d'annees auparavant
dans l'usine, d'ou son nom de la Quille. Pour ses invalides, on
l'avait mis surveillant aux cannetieres, et il faisait marcher les
enfants places sous ses ordres, rondement, rudement, toujours
grondant, bougonnant, criant, jurant, car le travail de ces
machines est assez penible, demandant autant d'attention de l'oeil
que de prestesse de la main pour enlever les canettes pleines, les
remplacer par d'autres vides, rattacher les fils casses, et il
etait convaincu que s'il ne jurait pas et ne criait pas
continuellement, en appuyant chaque juron d'un vigoureux coup du
pilon de sa jambe de bois applique sur le plancher, il verrait ses
broches arretees, ce qui pour lui etait intolerable. Mais comme,
au fond, il etait bon homme, on ne l'ecoutait guere, et,
d'ailleurs, une partie de ses paroles se perdait dans le tapage
des machines.
"Avec tout ca, tes broches sont arretees! cria-t-il a Rosalie en
la menacant du poing.
-- C'est-y ma faute?
-- Mets-toi au travail pus vite que ca."
Puis, s'adressant a Perrine:
"Comment t'appelles-tu?"
Comme elle ne voulait pas donner son nom, cette demande qu'elle
aurait du prevoir, puisque la veille Rosalie la lui avait posee,
la surprit, et elle resta interloquee.
Il crut qu'elle n'avait pas entendu et, se penchant vers elle, il
cria en frappant un coup de pilon sur le plancher:
"Je te demande ton nom."
Elle avait eu le temps de se remettre et de se rappeler celui
qu'elle avait deja donne:
"Aurelie, dit-elle.
-- Aurelie qui?
-- C'est tout.
-- Bon; viens avec moi."
Il la conduisit devant un wagonet gare dans un coin, et lui repeta
les explications de Rosalie, s'arretant a chaque mot pour crier:
"Comprends-tu?"
A quoi elle repondait d'un signe de tete affirmatif.
Et de fait son travail etait si simple qu'il eut fallu qu'elle fut
stupide
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