ble autour des tables du cabaret une centaine de convives, tous
chevaliers de la gaule, enrages de la flotte, fanatiques de l'hamecon.
Les exercices de la matinee avaient sans doute singulierement altere
leurs gosiers, a en juger par le nombre de bouteilles figurant au milieu
de la desserte. Maintenant, c'etait le tour des nombreuses liqueurs que
les hommes ont imaginees pour succeder au cafe.
Trois heures apres midi sonnaient, lorsque les convives, de plus en plus
montes en couleur, quitterent la table. Pour etre franc, quelques-uns
titubaient et n'auraient pu se passer completement du secours de leurs
voisins. Mais le plus grand nombre se tenaient fermes sur leurs jambes,
en braves et solides habitues de ces longues seances epulatoires, qui se
renouvelaient plusieurs fois dans l'annee a propos des concours de la
Ligue Danubienne.
De ces concours tres suivis, tres fetes, grande etait la reputation sur
tout le cours du celebre fleuve jaune, et non pas bleu comme le chante
la fameuse valse de Strauss. Du duche de Bade, du Wurtemberg, de la
Baviere, de l'Autriche, de la Hongrie, de la Roumanie, de la Serbie, et
meme des provinces turques de Bulgarie et de Bessarabie, les concurrents
affluaient.
La Societe comptait deja cinq annees d'existence. Tres bien administree
par son President, le Hongrois Miclesco, elle prosperait. Ses ressources
toujours croissantes lui permettaient d'offrir des prix importants
dans ses concours, et sa banniere etincelait des glorieuses medailles
conquises de haute lutte sur des associations rivales. Tres au courant
de la legislation relative a la peche fluviale, son Comite directeur
soutenait ses adherents, tant contre l'Etat que contre les particuliers,
et defendait leurs droits et privileges avec cette tenacite, on pourrait
dire cet entetement professionnel, special au bipede que ses instincts
de pecheur a la ligne rendent digne d'etre classe dans une categorie
particuliere de l'humanite.
Le concours qui venait d'avoir lieu etait le deuxieme de cette annee
1876. Des cinq heures du matin, les concurrents avaient quitte la ville
pour gagner la rive gauche du Danube, un peu en aval de Sigmaringen.
Ils portaient l'uniforme de la Societe: blouse courte laissant aux
mouvements toute leur liberte, pantalon engage dans des bottes a
forte semelle, casquette blanche a large visiere. Bien entendu, ils
possedaient la collection complete des divers engins enumeres au _Manuel
du Pecheur_: cannes, gau
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