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Une trentaine de livres de poissons furent prises par Ilia Brusch
avant midi, si bien que les curieux qui se pressaient sur le quai
de Ratisbonne n'eurent pas le regret de s'etre deranges en vain.
L'enthousiasme public augmentait visiblement. Il s'etablit, en plein
air, de veritables encheres entre les amateurs, et les trente livres de
poissons ne rapporterent pas moins de quarante et un florins au laureat
de la Ligue Danubienne.
Celui-ci n'avait jamais reve pareil succes, et il en arrivait a penser
que M. Jaeger pourrait bien, en fin de compte, avoir fait une excellente
affaire. En attendant que ce point fut elucide, il importait de remettre
les quarante et un florins a leur legitime proprietaire, mais Ilia
Brusch fut dans l'impossibilite de s'acquitter de ce devoir. M. Jaeger
avait, en effet, quitte discretement la barge, en prevenant son
compagnon, par un mot laisse en evidence, que celui-ci n'eut pas a
l'attendre pour le souper et qu'il reviendrait seulement assez tard dans
la soiree.
Ilia Brusch trouva fort naturel que M. Jaeger voulut profiter de cette
occasion de visiter une ville qui fut pendant cinquante ans le siege de
la diete imperiale. Peut-etre, aurait-il eprouve moins de satisfaction
et plus de surprise, s'il avait su a quelles occupations se livrait
alors son passager, et s'il en avait connu la veritable personnalite.
"M. Jaeger, 45, Leipzigerstrasse, Vienne", avait docilement ecrit Ilia
Brusch sous la dictee du nouveau venu. Mais celui-ci eut ete fort
embarrasse si le pecheur s'etait montre plus curieux, et si, reprenant
pour son compte une requete dont il venait d'apprecier le desagrement,
il avait, a l'exemple de l'indiscret pandore, demande a M. Jaeger de lui
montrer ses papiers.
Ilia Brusch negligea cette precaution, dont la legitimite lui avait
cependant ete demontree, et cette negligence devait avoir pour lui de
terribles resultats.
Quel nom le gendarme allemand avait lu sur le passeport que lui
presentait M. Jaeger, nul ne le sait; mais, si ce nom etait bien
exactement celui du veritable proprietaire du passeport, le gendarme
n'avait pu en lire un autre que celui de Karl Dragoch.
Le passionne amateur de peche et le chef de la police danubienne
ne faisaient, en effet, qu'une seule et unique personne. Resolu a
s'introduire, coute que coute, dans l'embarcation d'Ilia Brusch, Karl
Dragoch, prevoyant la possibilite d'une invincible resistance, avait
dresse ses batteries en consequen
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