surveillerait le fleuve, ou rien d'anormal n'echapperait a son regard
experimente. Chemin faisant, il s'aboucherait avec ses hommes dissemines
le long des rives. A la premiere nouvelle d'un delit ou d'un crime,
il se separerait d'Ilia Brusch pour se lancer sur les traces des
malfaiteurs, et il en serait au besoin de meme, si, en l'absence de tout
crime ou de tout delit, un indice suspect attirait son attention.
Tout cela etait sagement combine et, plus il y pensait, plus Karl
Dragoch s'applaudissait de son idee, qui, en lui assurant l'incognito
sur toute la longueur du Danube, multipliait les chances du succes.
Malheureusement, en raisonnant ainsi, le detective ne tenait pas compte
du hasard. Il ne se doutait guere qu'une serie de faits des plus
singuliers allait, dans peu de jours, aiguiller ses recherches dans une
direction imprevue et donner a sa mission une ampleur inattendue.
VI
LES YEUX BLEUS
En quittant la barge, Karl Dragoch gagna les quartiers du centre. Il
connaissait Ratisbonne, et c'est sans hesiter sur la direction a suivre
qu'il s'engagea a travers les rues silencieuses, flanquees ca et la de
donjons feodaux a dix etages, de cette cite jadis bruyante, que n'anime
plus guere une population tombee a vingt-six mille ames.
Karl Dragoch ne songeait pas a visiter la ville, comme le croyait Ilia
Brusch. Ce n'est pas en qualite de touriste qu'il voyageait. A peu de
distance du pont, il se trouva en face du Dom, la cathedrale aux tours
inachevees, mais il ne jeta qu'un coup d'oeil distrait sur son curieux
portail de la fin du XVe siecle. Assurement, il n'irait pas admirer, au
Palais des Princes de Tour et Taxis, la chapelle gothique et le cloitre
ogival, pas plus que la bibliotheque de pipes, bizarre curiosite de cet
ancien couvent. Il ne visiterait pas davantage le Rathhaus, siege de la
Diete autrefois, et aujourd'hui simple Hotel de Ville, dont la salle
est ornee de vieilles tapisseries, et ou la chambre de torture avec ses
divers appareils est montree, non sans orgueil, par le concierge de
l'endroit. Il ne depenserait pas un _trinkgeld_, le pourboire allemand,
a payer les services d'un cicerone. Il n'en avait pas besoin, et c'est
sans le secours de personne qu'il se rendit au Bureau des Postes, ou
plusieurs lettres l'attendaient a des initiales convenues. Karl Dragoch,
ayant lu ces lettres, sans que son visage decelat aucun sentiment, se
disposait a sortir du bureau, lorsqu'un homme assez vulg
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