avait veritablement quelque chose de deplace.
Ilia Brusch, fort calme de son naturel, commencait neanmoins a perdre
patience.
--Pourquoi? repondit-il plus vivement. Je vous l'ai dit, je crois.
J'ajouterai, puisque vous l'exigez, que je ne veux personne a bord. Il
n'est pas defendu, je suppose, d'aimer la solitude.
--Certes, reconnut son interlocuteur sans faire le moins du monde mine
de quitter le banc sur lequel il semblait incruste. Mais, avec moi, vous
serez seul. Je ne bougerai pas de ma place et meme je ne dirai pas un
mot, si vous m'imposez cette condition.
--Et la nuit? repliqua Ilia Brusch, que la colere gagnait. Pensez-vous
que deux personnes seraient a leur aise dans ma cabine?
--Elle est assez grande pour les contenir, repondit l'inconnu.
D'ailleurs, mille florins peuvent bien compenser un peu de gene.
--Je ne sais pas s'ils le peuvent, riposta Ilia Brusch de plus en plus
irrite, mais moi je ne le veux pas. C'est non, cent fois non, mille fois
non. Voila qui est net, je pense.
--Tres net, approuva l'inconnu.
--Alors?.. demanda Ilia Brusch en montrant le quai de la main.
Mais son interlocuteur parut ne pas comprendre ce geste pourtant si
clair. Il avait tire une pipe de sa poche et la bourrait avec soin. Un
pareil aplomb exaspera Ilia Brusch.
--Faudra-t-il donc que je vous depose a terre? s'ecria-t-il hors de lui.
L'inconnu avait acheve de bourrer sa pipe.
--Vous auriez tort, dit-il, sans que sa voix trahit la moindre crainte.
Et cela, pour trois raisons. La premiere, c'est qu'une rixe ne pourrait
manquer de provoquer l'intervention de la police, ce qui nous obligerait
a aller tous deux chez le commissaire decliner nos noms et prenoms et
repondre a un interminable interrogatoire. Cela ne m'amuserait guere, je
l'avoue, et, d'un autre cote, cette aventure serait peu propre a abreger
votre voyage, comme vous semblez le desirer....
L'obstine amateur de peche comptait-il beaucoup sur cet argument? Si
tel etait son espoir, il avait lieu d'etre satisfait. Ilia Brusch,
subitement radouci, semblait dispose a ecouter jusqu'au bout le
plaidoyer. Le disert orateur, tres occupe a allumer sa pipe, ne
s'apercut pas, d'ailleurs, de l'effet produit par ses paroles.
Il allait reprendre sa placide argumentation, quand, a cet instant
precis, une troisieme personne, qu'Ilia Brusch, absorbe par la
discussion, n'avait pas vue s'approcher, sauta dans la barge. Ce nouveau
venu portait l'uniforme des gendar
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