, large a Roustchouk comme un bras de mer, n'etait
qu'un jeu pour lui, et l'on ne comptait plus les sauvetages de ce
merveilleux nageur.
Une existence si digne et si droite avait, bien avant les troubles
anti-turcs, rendu Serge Ladko populaire a Roustchouk. Innombrables y
etaient ses amis, parfois inconnus de lui. On pourrait meme dire que ces
amis comprenaient l'unanimite des habitants de la ville, si Ivan Striga
n'avait pas existe.
C'etait aussi un enfant du pays, cet Ivan Striga, comme Serge Ladko,
dont il realisait la vivante antithese.
Physiquement, il n'y avait entre eux rien de commun, et pourtant un
passeport, qui se contente de designations sommaires, eut employe des
termes identiques pour les depeindre l'un et l'autre.
De meme que Ladko, Striga etait grand, large d'epaules, robuste, blond
de cheveux et de barbe. Lui aussi avait les yeux bleus. Mais a ces
traits generaux se limitait la ressemblance. Autant le visage aux lignes
nobles de l'un exprimait la cordialite et la franchise, autant les
traits tourmentes de l'autre disaient l'astuce et la froide cruaute.
Au moral, la dissemblance s'accentuait encore. Tandis que Ladko vivait
au grand jour, nul n'aurait pu dire par quels moyens Striga se procurait
l'or qu'il depensait sans compter. Faute de certitudes a cet egard,
l'imagination populaire se donnait libre carriere. On disait que Striga,
traitre a son pays et a sa race, s'etait fait l'espion appointe du
Turc oppresseur; on disait qu'a son metier d'espion il ajoutait,
quand l'occasion s'en presentait, celui de contrebandier, et que des
marchandises de toute nature passaient souvent grace a lui de la rive
roumaine a la rive bulgare, ou reciproquement, sans payer de droits a la
Douane; on disait meme, en hochant la tete, que tout cela etait peu de
chose, et que Striga tirait le plus clair de ses ressources de rapines
vulgaires et de brigandages; on disait encore... Mais que ne disait-on
pas? La verite est qu'on ne savait rien de precis des faits et gestes de
cet inquietant personnage, qui, si les suppositions desobligeantes
du public repondaient a la realite, avait eu, en tous cas, la grande
habilete de ne jamais se laisser prendre.
Ces suppositions, d'ailleurs, on se bornait a se les confier
discretement. Personne ne se fut risque a prononcer tout haut une parole
contre un homme dont on redoutait le cynisme et la violence. Striga
pouvait donc feindre d'ignorer l'opinion que l'on avait de lui,
attri
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