Mais cette reflexion est ici hors de propos. Laraviniere
n'etait point au nombre des admirateurs d'Horace; il n'avait
d'engouement que dans l'ordre des capacites politiques. S'il venait
le trouver sous pretexte de rire avec lui de M. Chaignard, il avait
probablement d'autres motifs que celui de renouer une liaison qui
n'avait jamais ete bien intime, et qui depuis deux ou trois mois
semblait totalement abandonnee de part et d'autre.
Horace avait toujours eprouve un profond dedain pour ces republicains
tout d'une piece (c'est ainsi qu'il les appelait) qui professaient
une sorte de mepris pour les arts, pour les lettres, et meme pour les
sciences, et qui, un peu entaches de babouvisme, n'etaient pas eloignes
de l'idee d'abattre les palais pour mettre des chaumieres a la place.
Une telle brusquerie de moyens etait inconciliable avec les besoins
d'elegance et les reves de grandeur individuelle que nourrissait Horace.
Il tenait donc Laraviniere pour un de ces instruments de destruction que
des revolutionnaires plus prudents laissent volontiers mettre en avant,
mais auxquels ils n'aimeraient pas a confier leur avenir personnel.
Quoi qu'il en soit, il le recut a bras ouverts, sans trop savoir
pourquoi. Horace se sentait bien dispose; il etait en train de rire: il
venait de raconter a sa compagne les moqueries dont il avait accable le
pauvre Chaignard, et il etait bien aise de lui presenter un temoin de sa
victoire. Et puis, qui de vous ne l'a pas eprouve, jeunes gens au sort
precaire? quand on est dans la detresse, un visage connu, quel qu'il
soit, donne toujours une lueur de courage ou de securite qui dispose a
la bienveillance.
En voyant Marthe, Jean fit un pas en arriere, murmura quelques excuses,
et parut vouloir se retirer; mais Horace le retint, le presenta a sa
compagne, qui lui tendit la main en souvenir d'une rencontre nocturne
ou il l'avait protegee et respectee, et qui lui demanda en souriant le
recit de la scene avec M. Chaignard.
Quand ils se furent assez egayes sur ce chapitre, Laraviniere attira
Horace dans le corridor, et lui dit: "D'apres ce qui s'est passe tout a
l'heure, je vois que vous etes dans une de ces crises financieres que
nous connaissons tous par experience. Je ne vous offre pas de solder
M. Chaignard, je ne le pourrais pas, et d'ailleurs quelques procedes
evasifs suffiront pour le museler jusqu'a nouvel ordre. Mais si vous
etiez a court de ces quelques ecus toujours necessaires, et souvent
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