e, qui couchent sur
des planches, qui ont a peine des habits de rechange! Et moi, qui suis
riche, qui suis habituee a l'elegance, il me traite comme ces vilains
Derigny que je deteste. J'ai bien su par mes femme que c'etaient les
meubles et les lits des Derigny qu'on m'avait donnes.
Ces reflexions et mille autres l'occuperent si longtemps, qu'on vint lui
annoncer le diner avant qu'elle eut seche ses larmes; elle s'elanca de
son lit, passa en toute hate de l'eau fraiche sur ses yeux bouffis,
lissa ses cheveux, arrangea ses vetements et alla au salon, ou elle
trouva le general avec Mme Dabrovine et ses enfants, qui jouaient avec
leurs cousins et cousines.
"Nous vous attendons, Maria Petrovna, dit le general en s'avancant vers
elle et lui offrant son bras. Natalie, je donne le bras a ta soeur,
quoique tu sois nouvellement arrivee, parce qu'elle est la plus vieille;
elle a bien dix ou douze ans de plus que toi.
Madame Dabrovine, embarrassee: Oh non! mon oncle, pas a beaucoup pres.
Madame Papofski, piquee: Ma soeur, laissez dire mon oncle. Ca l'amuse de
me vieillir et de vous rajeunir.
Le general, enchante: Mettez que je me sois trompe de deux ou trois ans,
ma niece; Natalie a trente-deux ans, vous en avez bien quarante-deux.
Madame Papofski: Cinquante, mon oncle, soixante, si vous voulez.
Le general, avec malice: He! he! nous y arriverons, ma niece; nous y
arriverons. Voyons, vous etes nee en mil huit cent seize....
Madame Papofski: Ah! mon oncle, a quoi sert de compter, puisque je veux
bien vous accorder que j'ai soixante ans?
Le general: Du tout, du tout, les comptes font les bons amis, et...
Madame Dabrovine: Mon cher oncle, nous voici dans la salle a manger; je
dois avouer que j'ai si faim....
Le general: Et moi j'ai faim et soif de la verite; alors je dis de mil
huit cent....
Madame Dabrovine: La verite, la voici, mon oncle; c'est que vous etes
un peu taquin comme vous l'etiez jadis, et que vous vous amusez a
tourmenter la pauvre Maria, qui ne vous a rien fait pourtant. Regardez
Natasha, comme elle vous regarde avec surprise."
Le general se retourna vivement, quitta le bras de Mme Papofski et fit
asseoir tout le monde. "Est-ce vrai que tu t'etonnes de ma mechancete,
Natasha? Tu me trouves donc bien mauvais?
Natasha: Mon oncle...."
Natasha rougit et se tut.
Le general, souriant: Parle, mon enfant, parle sans crainte... Puisque
je viens de dire que j'ai faim et soif de la verite.
Nat
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