et ses freres couraient de
chambre en chambre, admiraient, remerciaient. Quand ils surent que tout
etait l'ouvrage des Derigny, Natasha se jeta au cou de Mme Derigny
et serra les mains de Derigny, pendant que les deux plus jeunes
embrassaient avec une joie folle Jacques et Paul.
Le general ne se possedait pas de joie; il riait aux eclats, il se
frottait les mains, selon son habitude dans ses moments de grande
satisfaction, il marchait a grands pas, il regardait avec tendresse
Mme Dabrovine, qui souriait des explosions de joie de ses enfants,
et Natasha, dont les yeux rayonnants exprimaient le bonheur et la
reconnaissance; sans cesse en passant et repassant devant son oncle elle
deposait un baiser sur sa main ou sur son front.
"Mon oncle, mon oncle, s'ecria-t-elle, que je suis heureuse! Que vous
etes bon!
Le general: Et moi donc, mes enfants! Je suis heureux de votre joie!
Depuis de longues, longues annees, je n'avais vu autour de moi une
pareille satisfaction. Une seule fois, en France, j'ai fait des heureux:
mes bons Derigny et leurs frere et soeur, Moutier et Elfy.
Natasha: Oh! mon oncle, racontez-nous ca, je vous en prie. Je voudrais
savoir comment vous avez fait et ce que vous avez fait.
--Plus tard, ma fille, repondit le general en souriant; ce serait trop
long. A present, reposez-vous, arrangez-vous dans votre appartement.
Derigny va vous envoyer votre femme de chambre! dans une heure nous
dinerons. Maria Petrovna, restez-vous avec votre soeur?
Madame Papofski: Oui.... Non,... c'est-a-dire... je voudrais presenter
mes enfants a Natalie.
Le general: Vous avez raison; allez, allez. Moi je vais avec Derigny a
mes affaires."
Mme Papofski sortit, courut chez elle, regarda avec colere le maigre
ameublement de sa chambre, et, se laissant aller a sa rage jalouse, elle
tomba sur son lit en sanglotant.
"L'heritage! pensait-elle. Six cent mille roubles de revenu! Une terre
superbe! Il ne me les laissera pas! Il va tout donner a cette odieuse
Natalie, qui fait la desolee et la pauvre pour l'apitoyer. Et sa sotte
fille! qui saute comme si elle avait dix ans! qui se jette sur lui, qui
l'embrasse! Et lui, gros imbecile, qui croit qu'on l'adore, qui trouve
ces gambades charmantes.... Il tutoie ma soeur, et moi il m'appelle
Maria Petrovna! Il les embrasse tous, et nous il nous repousse! Il fait
arranger un appartement comme pour des princes! eux qui sont dans la
misere, qui mangent du pain noir et du lait caill
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