tonnement et mepris. Le mensonge etait si
grossier, qu'il se sentit blesse de l'opinion qu'avait sa niece de son
esprit.
Il la regarda un instant avec des yeux etincelants de colere, mais un
regard jete sur la figure inquiete et suppliante de Derigny lui rendit
son calme.
Le general: "Parlons d'autre chose, ma niece; comment se porte votre
soeur Natalia Petrovna?"
Madame Papofski: "Tres bien, mon oncle; toujours bien."
Le general: "Je la croyais souffrante depuis la mort de son mari."
Madame Papofski: "Du tout, mon oncle; elle est gaie, elle s'amuse, elle
danse; elle n'y pense pas seulement."
Le general: "Pourtant, son voisin M. Nassofkine m'a ecrit il y a
quelques jours, il me dit qu'elle pleurait sans cesse et qu'elle ne
voyait personne."
Madame Papofski: "Non, mon oncle, ne croyez pas ca. Ce Nassofkine ment
toujours, vous savez."
Le general: "Et les enfants de Natalia?"
Madame Papofski: "Toujours insupportables, detestables."
Le general: "Nassofkine m'ecrit que la fille ainee, qui a quinze ans,
Natasha, est charmante et parfaite, et que les deux autres, Alexandre et
Michel, sont aussi bien que Natasha."
Madame Papofski: "Comme il ment! Tous affreux et mechants!"
Le general: "C'est singulier! Je vais ecrire a Natalia Petrovna de venir
ici avec ses trois enfants; je veux les voir."
Madame Papofski: "N'ecrivez pas, mon oncle: ca vous donnera de la peine
pour rien; elle ne viendra pas."
Le general: "Pourquoi ne viendrait-elle pas? Etant jeune, elle m'aimait
beaucoup."
Madame Papofski: "Ah! mon oncle, vous croyez cela? Vous etes trop bon,
vraiment. Elle sait que vous ne voyez pas beaucoup de monde; elle aura
peur de s'ennuyer, et puis elle veut marier sa fille; elle n'a pas le
sou; alors, elle veut attraper quelque richard, vieux et laid."
Le general: "Tout juste! Je suis la, moi! Riche, vieux et laid. Elle me
fera la cour, et je doterai sa fille."
Mme Papofski palit et frissonna; elle trembla pout l'heritage, et ne put
dissimuler son trouble; le general la regardait en dessous; il etait
rayonnant de la peur visible de cette niece qu'il n'aimait pas, et de
l'heureuse idee de faire venir l'autre soeur, dont il avait conserve
le souvenir doux et agreable, et qui, par discretion sans doute, ne
demandait pas a venir a Gromiline. Mme Papofski continua a dissuader son
oncle de faire venir Mme Dabrovine. Le general eut l'air de se rendre
a ses raisonnements, et le diner s'acheva assez gaiem
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