rai-je aller a la ville acheter ce qu'il me
faudra en vaisselle, meubles, etc?"
Le general: "Allez ou vous voudrez, achetez ce que vous voudrez: je vous
donne carte blanche."
Derigny: "Quelles sont les chambres qu'il faut arranger, mon general?"
Le general: "Les plus belles! celles qui etaient si abimees et que j'ai
fait remettre a neuf sous votre direction. Et vous ne me demandez pas
pourquoi je vous donne tant de mal?"
Derigny: "Je ne me permettrais pas une pareille indiscretion, mon
general."
Le general: "C'est pour ma niece.
--Mme Papofski? s'ecria Derigny en faisant un saut en arriere."
Le general, riant aux eclats: "Vous voila! c'est ca que j'attendais! Le
coup de theatre; les yeux ecarquilles! le saut en arriere! la bouche
ouverte! Ah! ah! ah! est-il etonne!... Eh bien, non, mon ami, je ne vous
ferais pas la malice de vous faire travailler pour cette niece mechante,
hypocrite et rusee... N'allez pas lui redire ca, au moins."
Derigny, riant: "Il n'y a pas de danger, mon general."
Le general: "Bon! C'est pour mon autre niece, Natalia, qui etait bonne
et aimante quand je l'ai quittee il y a dix ans, et qui est encore,
d'apres le mal que m'en a dit Maria Petrovna, le tres rare mais vrai
type russe; ses enfants doivent etre excellents; je leur ai ecrit a tous
d'arriver. Et nous allons avoir une entrevue charmante entre les deux
soeurs; la Papofski sera furieuse! Elle ne sait rien. Arrangez-vous pour
qu'elle ne devine rien, Faites travailler dans le village, et profitez
des heures ou elle sera sortie pour faire apporter les lits et
les meubles dans le bel appartement. J'irai voir tout ca, mais en
cachette... La bonne idee que j'ai eue la; ah! ah! ah! la bonne farce
pour la Papofski!"
Derigny et sa femme se mirent a l'oeuvre des le lendemain; Derigny alla
a Smolensk acheter ce qui lui etait necessaire; les menuisiers, les
serruriers, les ouvriers de toute espece furent mis a sa disposition;
on fabriqua des lits, des commodes, des tables, des fauteuils, des
toilettes; Derigny et sa femme remplacerent les tapissiers qui
manquaient. Le general allait et venait, distribuait des gratifications
et de l'eau-de-vie, encourageait et approuvait tout. Les paysans
travaillaient de leur mieux et benissaient le Francais qui leur valait
la bonne humeur et les dons genereux de leur maitre. Vassili etait;
reconnaissant de l'humanite de Derigny, qui lui avait epargne les cent
coups de baton auxquels l'avait condamne
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