le general dans un premier
moment de colere, et dont il n'avait plus parle; il secondait Derigny
avec l'intelligence qui caracterise le peuple russe. Avant les quinze
jours, tout etait termine, les meubles mis en place, les fenetres et les
lits garnis de rideaux; quand le general alla visiter l'appartement
destine a Mme Dabrovine, il temoigna une joie d'enfant, admirant tout:
l'elegance des draperies, le joli et le brillant des meubles, la beaute
des sieges. Il s'assit dans chaque fauteuil, examina tous les objets de
toilette, se frotta les mains, donna une poignee d'assignats a Vassili
et aux ouvriers, et, se tournant vers Derigny et sa femme: "Quant a
vous, mes amis, ce n'est pas avec de l'or que je reconnais votre zele,
votre activite, votre talent; ce serait vous faire injure. Non, c'est
avec mon coeur que je vous recompense, avec mon amitie, mon estime et ma
reconnaissance! C'est que vous avez fait la un vrai tour de force, un
coup de maitre! Merci, mille fois merci, mes bons amis! (Le general leur
serra les mains.) Ah! Maria Petrovna! vous allez etre punie de votre
mechancete! Grace a mes bons Derigny, vous allez avoir une colere
furieuse! et d'autant plus terrible que vous n'oserez pas me la
montrer!... Quand donc ma petite Dabrovine arrivera-t-elle avec sa
Natasha et ses deux garcons? Je donnerais dix mille, vingt mille roubles
pour qu'elle arrivat aujourd'hui meme."
Le general quitta l'appartement presque en courant, pour aller voir s'il
ne voyait rien venir. Derigny et sa femme etaient heureux de la joie
du bon et malicieux general; et peut-etre partageaient-ils un peu la
satisfaction qu'ils laissaient eclater de la colere presumee de Mme
Papofski.
Jacques et Paul, presents a cette scene, riaient et sautaient. Ils
avaient habilement evite les prevenances hypocrites des petits Papofski,
et avaient reussi a ne pas jouer une seule fois avec eux. Quand ils les
rencontraient, soit dans la maison, soit dehors, ils feignaient d'etre
presses de rejoindre leurs parents, qui les attendaient, disaient-ils;
et, quand les petits Papofski insistaient, ils s'echappaient en courant,
avec une telle vitesse, que leurs poursuivants ne pouvaient jamais les
atteindre. Lorsque Jacques et Paul voulaient prendre leurs lecons et
s'occuper tranquillement, ils s'enfermaient a double tour dans
leur chambre avec Mme Derigny, et tous riaient sous cape quand ils
entendaient appeler, frapper a la porte. Mme Papofski profitait de
toutes
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