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pas la peine de jouer ce jeu terrible avec Votre Altesse Royale,
si je n'avais un double interet a gagner la partie. Le jour ou
vous serez eleve, vous serez eleve a jamais, vous renverserez en
montant le marchepied, vous l'enverrez rouler si loin, que jamais
sa vue ne vous rappellera meme son droit a votre reconnaissance.
-- Oh! monsieur.
-- Votre mouvement, monseigneur, vient d'un excellent naturel.
Merci! Croyez bien que j'aspire a plus que de la reconnaissance;
je suis assure que, parvenu au faite, vous me jugerez plus digne
encore d'etre votre ami, et alors, a nous deux, monseigneur, nous
ferons de si grandes choses, qu'il en sera longtemps parle dans
les siecles.
-- Dites-moi bien, monsieur, dites-le-moi sans voiles, ce que je
suis aujourd'hui et ce que vous pretendez que je sois demain.
-- Vous etes le fils du roi Louis XIII, vous etes le frere du roi
Louis XIV, vous etes l'heritier naturel et legitime du trone de
France. En vous gardant pres de lui, comme on a garde Monsieur,
votre frere cadet, le roi se reservait le droit d'etre souverain
legitime. Les medecins seuls et Dieu pouvaient lui disputer la
legitimite. Les medecins aiment toujours mieux le roi qui est que
le roi qui n'est pas. Dieu se mettrait dans son tort en nuisant a
un prince honnete homme. Mais Dieu a voulu qu'on vous persecutat,
et cette persecution vous sacre aujourd'hui roi de France. Vous
aviez donc le droit de regner, puisqu'on vous le conteste; vous
aviez donc le droit d'etre declare, puisqu'on vous sequestre; vous
etes donc de sang divin, puisqu'on n'a pas ose verser votre sang
comme celui de vos serviteurs. Maintenant, voyez ce qu'il a fait
pour vous, ce Dieu que vous avez tant de fois accuse d'avoir tout
fait contre vous. Il vous a donne les traits, la taille, l'age et
la voix de votre frere, et toutes les causes de votre persecution
vont devenir les causes de votre resurrection triomphale. Demain,
apres-demain, au premier moment, fantome royal, ombre vivante de
Louis XIV, vous vous assierez sur son trone, d'ou la volonte de
Dieu, confiee a l'execution d'un bras d'homme, l'aura precipite
sans retour.
-- Je comprends, dit le prince, on ne versera pas le sang de mon
frere.
-- Vous serez seul arbitre de sa destinee.
-- Ce secret dont on a abuse envers moi...
-- Vous en userez avec lui. Que faisait-il pour le cacher? Il vous
cachait. Vivante image de lui-meme, vous trahiriez le complot de
Mazarin et d'Anne d'Autriche.
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