n presence d'un aussi grand malheur. Cette ame
d'acier, habituee a se jouer dans la vie parmi des obstacles sans
consistance, ne se trouvant jamais inferieure ni vaincue, allait-
elle echouer dans un si vaste plan, pour n'avoir pas prevu
l'influence qu'exercaient sur un corps humain quelques feuilles
d'arbres arrosees de quelques litres d'air?
Aramis, fixe a la meme place par l'angoisse de son doute,
contempla donc cette agonie douloureuse de Philippe, qui soutenait
la lutte contre les deux anges mysterieux. Ce supplice dura les
dix minutes qu'avait demandees le jeune homme. Pendant cette
eternite Philippe ne cessa de regarder le ciel avec un oeil
suppliant, triste et humide. Aramis ne cessa de regarder Philippe
avec un oeil avide, enflamme, devorant.
Tout a coup, la tete du jeune homme s'inclina. Sa pensee
redescendit sur la terre. On vit son regard s'endurcir, son front
se plisser, sa bouche s'armer d'un courage farouche; puis ce
regard devint fixe encore une fois; mais, cette fois, il refletait
la flamme des mondaines splendeurs; cette fois, il ressemblait au
regard de Satan sur la montagne, lorsqu'il passait en revue les
royaumes et les puissances de la terre pour en faire des
seductions a Jesus.
L'oeil d'Aramis redevint aussi doux qu'il avait ete sombre. Alors,
Philippe lui saisissant la main d'un mouvement rapide et nerveux:
-- Allons, dit-il, allons ou l'on trouve la couronne de France!
-- C'est votre decision, mon prince? repartit Aramis.
-- C'est ma decision.
-- Irrevocable?
Philippe ne daigna pas meme repondre. Il regarda resolument
l'eveque, comme pour lui demander s'il etait possible qu'un homme
revint jamais sur un parti pris.
-- Ces regards-la sont des traits de feu qui peignent les
caracteres, dit Aramis en s'inclinant sur la main de Philippe.
Vous serez grand, monseigneur, je vous en reponds.
-- Reprenons, s'il vous plait, la conversation ou nous l'avons
laissee. Je vous avais dit, je crois, que je voulais m'entendre
avec vous sur deux points: les dangers ou les obstacles. Ce point
est decide. L'autre, ce sont les conditions que vous me poseriez.
A votre tour de parler, monsieur d'Herblay.
-- Les conditions, mon prince?
-- Sans doute. Vous ne m'arreterez pas en chemin pour une
bagatelle semblable, et vous ne me ferez pas l'injure de supposer
que je vous crois sans interet dans cette affaire. Ainsi donc,
sans detour et sans crainte, ouvrez-moi le fond de votre pensee.
-- M'
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