t bien dans son bon sens; si la
scene se passait bien a Vaux; si lui, d'Artagnan, etait bien le
capitaine des mousquetaires, et M. Fouquet le proprietaire du
chateau dans lequel Louis XIV venait de recevoir l'hospitalite.
Ces reflexions n'etaient pas celles d'un homme ivre. On avait
cependant bien banquete a Vaux. Les vins de M. le surintendant
avaient cependant figure avec honneur a la fete. Mais le Gascon
etait homme de sang-froid: il savait, en touchant son epee
d'acier, prendre au moral le froid de cet acier pour les grandes
occasions.
-- Allons, dit-il en quittant l'appartement royal, me voila jete
tout historiquement dans les destinees du roi et dans celles du
ministre; il sera ecrit que M. d'Artagnan, cadet de Gascogne, a
mis la main sur le collet de M. Nicolas Fouquet, surintendant des
finances de France. Mes descendants, si j'en ai, se feront une
renommee avec cette arrestation, comme les messieurs de Luynes
s'en sont fait une avec les defroques de ce pauvre marechal
d'Ancre. Il s'agit d'executer proprement les volontes du roi. Tout
homme saura bien dire a M. Fouquet: "Votre epee, monsieur!". Mais
tout le monde ne saura pas garder M. Fouquet sans faire crier
personne. Comment donc operer, pour que M. le surintendant passe
de l'extreme faveur a la derniere disgrace, pour qu'il voie se
changer Vaux en un cachot, pour que, apres avoir goutte l'encens
d'Assuerus, il touche a la potence d'Aman, c'est-a-dire
d'Enguerrand de Marigny?
Ici, le front de d'Artagnan, s'assombrit a faire pitie. Le
mousquetaire avait des scrupules. Livrer ainsi a la mort car
certainement Louis XIV haissait M. Fouquet, livrer, disons-nous, a
la mort celui qu'on venait de breveter galant homme, c'etait un
veritable cas de conscience.
-- Il me semble, se dit d'Artagnan, que, si je ne suis pas un
croquant, je ferai savoir a M. Fouquet l'idee du roi a son egard.
Mais, si je trahis le secret de mon maitre, je suis un perfide et
un traitre, crime tout a fait prevu par les lois militaires, a
telles enseignes que j'ai vu vingt fois, dans les guerres,
brancher des malheureux qui avaient fait en petit ce que mon
scrupule me conseille de faire en grand. Non, je pense qu'un homme
d'esprit doit sortir de ce pas avec beaucoup plus d'adresse. Et
maintenant, admettons-nous que j'aie de l'esprit? C'est
contestable, en ayant fait depuis quarante ans une telle
consommation que, s'il m'en reste pour une pistole, ce sera bien
du bonheur.
D'Artagnan s
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