tre.
-- Pas tout de suite, monseigneur. Cela donnerait trop d'ombrage
et d'etonnement.
-- M. de Richelieu, premier ministre de ma grand-mere Marie de
Medicis, n'etait qu'eveque de Lucon, comme vous etes eveque de
Vannes.
-- Je vois que Votre Altesse Royale a bien profite de mes notes.
Cette miraculeuse perspicacite me comble de joie.
-- Je sais bien que M. de Richelieu, par la protection de la
reine, est devenu bientot cardinal.
-- Il vaudra mieux, dit Aramis en s'inclinant, que je ne sois
premier ministre qu'apres que Votre Altesse Royale m'aura fait
nommer cardinal.
-- Vous le serez avant deux mois, monsieur d'Herblay. Mais voila
bien peu de chose. Vous ne m'offenseriez pas en me demandant
davantage, et vous m'affligeriez en vous en tenant la.
-- Aussi ai-je quelque chose a esperer de plus, monseigneur.
-- Dites, dites!
-- M. Fouquet ne gardera pas toujours les affaires, il vieillira
vite. Il aime le plaisir, compatible aujourd'hui avec son travail,
grace au reste de jeunesse dont il jouit; mais cette jeunesse
tient au premier chagrin ou a la premiere maladie qu'il
rencontrera. Nous lui epargnerons le chagrin, parce qu'il est
galant homme et noble coeur. Nous ne pourrons lui sauver la
maladie. Ainsi, c'est juge. Quand vous aurez paye toutes les
dettes de M. Fouquet, remis les finances en etat, M. Fouquet
pourra demeurer roi dans sa cour de poetes et de peintres; nous
l'aurons fait riche. Alors, devenu premier ministre de Votre
Altesse Royale, je pourrai songer a mes interets et aux votres.
Le jeune homme regarda son interlocuteur.
-- M. de Richelieu, dont nous parlions, dit Aramis, a eu le tort
tres grand de s'attacher a gouverner seulement la France. Il a
laisse deux rois, le roi Louis XIII et lui, troner sur le meme
trone, tandis qu'il pouvait les installer plus commodement sur
deux trones differents.
-- Sur deux trones? dit le jeune homme en revant.
-- En effet, poursuivit Aramis tranquillement: un cardinal premier
ministre de France, aide de la faveur et de l'appui du roi Tres
Chretien; un cardinal a qui le roi son maitre pretre ses tresors,
son armee, son conseil, cet homme-la ferait un double emploi
facheux en appliquant ses ressources a la seule France. Vous,
d'ailleurs, ajouta Aramis en plongeant jusqu'au fond des yeux de
Philippe, vous ne serez pas un roi comme votre pere, delicat, lent
et fatigue de tout; vous serez un roi de tete et d'epee; vous
n'aurez pas assez de vos Etat
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