e fois la semaine, une barque
va chercher, au four commun, pain tiede et jaune dont l'odeur
attire et caresse de loin. Vous vivrez la comme un homme des temps
anciens. Seigneur puissant de vos chiens barbets, de vos lignes,
de vos fusils et de votre belle maison de roseaux, vous y vivrez
dans l'opulence de la chasse dans la plenitude de la securite;
vous passerez ainsi des annees au bout desquelles, meconnaissable,
transforme, vous aurez force Dieu a vous refaire une destinee. Il
y a mille pistoles dans ce sac, monseigneur; c'est plus qu'il n'en
faut pour acheter tout le marais dont je vous ai parle; c'est plus
qu'il n'en faut pour y vivre autant d'annees que vous avez de
jours a vivre; c'est plus qu'il n'en faut pour etre le plus riche,
le plus libre et le plus heureux de la contree. Acceptez comme je
vous offre, sincerement, joyeusement. Tout de suite du carrosse
que voici, nous allons distraire deux chevaux. Le muet, mon
serviteur, vous conduira, marchant la nuit, dormant le jour,
jusqu'au pays dont je vous parle, et au moins j'aurai la
satisfaction de me dire que j'ai rendu a mon prince le service
qu'il a choisi. J'aurai fait un homme heureux. Dieu m'en saura
plus de gre que d'avoir fait un homme puissant. C'est bien
autrement difficile! Eh bien! que repondez-vous, monseigneur?
Voici l'argent. Oh! n'hesitez pas. Au Poitou, vous ne risquez
rien, sinon de gagner les fievres. Encore les sorciers du pays
pourront-ils vous guerir pour vos pistoles. A jouer l'autre
partie, celle que vous savez, vous risquez d'etre assassine sur un
trone ou etrangle dans une prison. Sur mon ame! je le dis, a
present que j'ai pese les deux, sur ma vie! j'hesiterais.
-- Monsieur, repliqua le jeune prince, avant que je me resolve,
laissez-moi descendre de ce carrosse, marcher sur la terre, et
consulter cette voix que Dieu fait parler dans la nature libre.
Dix minutes, et je repondrai.
-- Faites, monseigneur, dit Aramis en s'inclinant avec respect,
tant avait ete solennelle et auguste la voix qui venait de
s'exprimer ainsi.
Chapitre CCXVI -- Couronne et tiare
Aramis etait descendu avant le jeune homme et lui tenait la
portiere ouverte. Il le vit poser le pied sur la mousse avec un
fremissement de tout le corps, et faire autour de la voiture
quelques pas embarrasses, chancelants presque. On eut dit que le
pauvre prisonnier etait mal habitue a marcher sur la terre des
hommes.
On etait au 15 aout, vers onze heures du soir: de gr
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