de famille, et tu m'as trop donne l'exemple, coupable que tu es, de
chefs-d'oeuvre _ebouriffants_ pour que je puisse jamais prendre au
serieux les strophes echevelees des jeunes disciples de cette ecole.
Et, pourtant, je ne voudrais pas etre injuste: celui-ci a des eclairs
dignes des maitres, et, a cote de puerilites emphatiques, il a du vrai
souffle, des expressions heureuses, de l'habilete de langage et de
l'inspiration. Ce qu'il fait est souvent mauvais, parfois tres beau,
rarement mediocre. Ce serait grand dommage de le decourager, et je
crois que le bon conseil a lui donner, s'il voulait le recevoir, serait
celui-ci: "Faites des vers encore et toujours; mais n'en publiez pas
encore. Attendez que votre gout se soit forme et que vous sentiez
pourquoi on vous donne cet avis. C'est a, vous de le trouver vous-meme.
Autrement, toute critique vous semblera pedante et arbitraire, et vous
nuira au lieu de vous profiter."
J'avais l'idee d'adresser M. Lafagette a Theophile Gautier, qui est un
meilleur juge que moi. Mais, outre que je ne sais trop s'il ne m'enverra
pas promener, je crois etre sure, a present que j'ai lu avec attention
I'opuscule entier, que son jugement serait conforme au mien. Toutefois,
si M. Lafagette persiste, a le voir, je lui donnerai une lettre.
Theophile est tres bon, comme un grand artiste et un vrai maitre qu'il
est en _l'art des vers_, et je ne pense pas qu'il decourage ce jeune
homme.
Mais que va-t-il faire a Paris, apres ces maledictions jetees a la
moderne Babylone? C'est l'amour de la montagne et l'enthousiasme de la
solitude qui l'ont inspire. Il m'a dit vouloir _se lancer dans la
vie litteraire_. Qu'est-ce que c'est que cela? ou ca se trouve-t-il?
qu'entend-il par la? J'ai cru d'abord que c'etait un editeur qu'il
voulait trouver, et je lui ai dit la verite. Eut-il une preface de
Victor Hugo, il lui faudra probablement faire les frais de sa premiere
publication. Aucune recommandation ne lui servira quand il s'agira, pour
un marchand de litterature, de risquer une somme, quelconque. Les revues
et les journaux litteraires sont encombres de poesie et en consomment
fort peu. Ils n'accepteront pas le cote pamphletaire de la chose. C'est
trop hardi pour eux, et, d'ailleurs, ils ne le pourraient pas. Je ne
vois donc pas comment je pourrais etre utile a ses debuts.
Quant a la vie litteraire, je ne la connais pas. Je ne connais pas de
milieu litteraire ou elle s'exprime et se manifeste de manie
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